« Quand les masques tombent et révèlent le véritable visage de chacun. » - Daeron

L'aube se levait sur Wolf Temporal. Lentement, comme si l'on tirait un rideau, l'ombre cédait sa place à la brume, le noir s'effaçait au profit du rose. C'était un spectacle magnifique, l'un de ces moments magiques où l'on réalisait pleinement la chance que l'on avait d'être vivant.

Iseult, assise sur son arrière-train, contemplait le ciel tout en savourant l'impression que le brouillard, glissant sur sa fourrure, la lavait de toute impureté. Son cœur était serein, ses yeux vifs et curieux. Comme au temps radieux de son enfance, son attention s'égaillait, virevoltait dans tous les sens, avec l'émerveillement stupéfait des jeunes louveteaux. C'était si bon...

Enfin, la louve grise se dressa sur ses pattes, les muscles souples et le pas élastique. Ses oreilles frémissaient, à l'affût du moindre son qui viendrait troubler la paix de ce matin brumeux. Un chant d'oiseau s'éleva dans le ciel. Vive comme l'éclair, la prédatrice bondit et referma ses puissantes mâchoires sur la gorge du volatile. Les plumes soyeuses chatouillèrent sa gorge, et un énorme éternuement monta de son poitrail, retentissant dans l'air ambiant. Un peu honteuse, Iseult balaya les environs du regard. Il n'y avait personne.

Rassérénée, elle examina sa proie, une petite colombe tout juste sortie du nid. Sa chair devait être tendre, mais la chasseuse répugnait à y planter les crocs. Il y avait une sorte de beauté sauvage dans l'expression de l'animal, qu'elle se refusait à détruire. Sa gueule pleine de sang la brûlait. Le désir de laper un peu d'eau pour se rincer la bouche la submergea. Après une brève hésitation, elle traîna le petit oiseau gris dans l'ombre protectrice d'un rocher. Elle le ramènerait plus tard à la meute. Vanille apprécierait sûrement ce cadeau. Un grand éclat de rire la secoua soudainement. Elle devait être bien changée, pour se soucier de la protégée de Daeron.

Alors, comme si ses pensées l'avaient fait apparaître, elle distingua une grande silhouette au bord de l'eau. Que faisait l'Alpha à cette heure si matinale ? Iseult hésitait, les yeux rivés sur l'étang. Si elle voulait trouver une autre source d'eau, elle devrait marcher encore longtemps. Les poils hérissés, elle fit un pas en avant.

Alors que le levé du Soleil faisait son entré à une allure tranquille, je baillais longuement et étirais mes membres avant de me décider à m'élever sur mes hautes et puissantes pattes rousses. Le temps était calme, le ciel clairsemé de cumulus innoffensifs. L'air était doux et je prévoyais une journée tranquille, sans brusqueries quelconques de Mère Nature. Sortant de ma grotte d'un pas lent, je m'avançais de quelques mètres hors de ma tanière et soupirais : Tout était calme, paisible. Rien ne me faisait mauvaise impression et je sentais qu'une longue et ennuyeuse journée allait suivre toutes celles qui s'étaient déroulées dernièrement. Les voix autrefois joyeuses qui arrivaient à mes tympans, n'étant autres que les chants mélodieux des oiseaux partout autour de moi, me paraissaient aujourd'hui tristes et mélancoliques, comme si les sous-bois eux-même ressentaient mon désespoir. Voilà maintenant de nombreuses semaines que tout avait eu lieu. Plusieurs mois s'étaient écoulés depuis que j'étais devenur le Grand Chef des Saphirs, et que je n'avais plus revu ma si chère Birdy. Elle s'était tout bonnement volatilisé, et je m'étais malgré moi trouvé dans l'incapacité de la retrouver. J'avais appelé, hurlé jusqu'a perdre ma voix une fois. J'avais demandé à tous les loups de la meute. Personne ne l'avait vue ou ne savait quoi que ce soit sur son départ incompréhensif.

Finalement, je prenais la route vers le ruisseau tout près, souhaitant plus que tout me laver de ses souvenirs, m'abreuver de l'eau froide et matinale. Je ne désirais que de la sollitude, après toutes ces semaines durant lesquelles j'avais tant cherché la proximité d'une certaine louve qui s'était montrée inaccessible tout ce temps. Alors, lapant l'eau en de longues gorgées et ne cherchant plus à faire attention à mon image, je m'imbibais le poitrail du liquide revigorant et ne pensais plus à rien, lorsqu'un craquement de branche attira l'attention de mes oreilles de l'autre côté de la rive. Je la fixais un moment, ma langue restant pendant par l'hésitation, puis reportais mon attention sur le courant et continuais de me désaltérer jusqu'à plus soif. Finalement, son ombre dans mon regard s'avança dans ma direction et elle se joignit à moi pour boire elle aussi. Je gardais le silence après avoir terminé, mais ne retournais pas sur mes pas. Je me doutais que maintenant qu'elle m'avait trouvé, elle ne me lâcherait plus, gardant son rôle de protectrice jusqu'au bout.

Alors qu'elle finissait de boire, je m'approchais du courant et y entrait finalement, traversant l'étendue d'eau qui nous séparait pour la rejoindre. Puisque le Destin avait décidé de nous mené à une rencontre en tête à tête, nous pourrions peut-être en profiter pour mettre certaines choses au clair. Sa présence m'était toujours aussi délicate qu'auparavant mais je tentais de garder mon calme face à elle, qui semblait si peu ravie de me voir.

- Bonjour, Iseult. Je me disais à l'instant, qu'étant donné que nous étions seuls une fois de plus, nous pourrions peut-être discuter de certaines petites choses, toi et moi. Qu'en dis-tu?

Je sortais finalement de l'eau après ma traversée, m'éloignais d'elle de plusieurs mètres afin de ne pas éveiller de mauvaises pensées envers moi en mébrouant. Puis je secouais vivement mon pelage flamboyant pour en retirer toute l'eau avant de rejoindre de nouveau Iseult dont j'attendais les premières paroles au petit jour.

Daeron releva la tête et la fixa un moment, la langue pendante. Lorsqu'il se remit à boire, Iseult s'approcha lentement et se mit à laper l'onde claire à son tour. L'eau coula dans sa gorge, rafraîchissante. Les muscles de la Protectrice se détendirent lentement, tandis que la saveur métallique du sang disparaissait de sa gueule.

Un bruit d'éclaboussures la fit relever la tête. L'Alpha s'était immergé dans la rivière, et progressait d'un pas sûr vers elle. Sous les premiers rayons du soleil, sa fourrure rousse semblait s'embraser. Des gouttes d'eau ruisselaient sur ses larges épaules. Iseult le regarda. Le regarda vraiment. Son cou puissant, ses pattes énormes, ses crocs aiguisés. Son cœur se serra lorsqu'elle se rendit compte qu'il ressemblait à... à un dominant. Un vrai dominant, apte à protéger et à guider sa meute.

« Bonjour, Iseult. Je me disais à l'instant, qu'étant donné que nous étions seuls une fois de plus, nous pourrions peut-être discuter de certaines petites choses, toi et moi. Qu'en dis-tu ? »

Il avait enfin gagné la berge. Debout à quelque distance d'elle, il se secoua vigoureusement. Iseult s'assit, les oreilles couchées en arrière. En dépit des précautions dont faisait preuve Daeron, une goutte d'eau éclaboussa son museau. Agacée, la louve grise la happa d'un coup de langue. La colère bouillonnait dans son ventre. Elle aurait volontiers envoyé paître l'Alpha, mais c'était impossible. D'abord parce qu'elle était déterminée à se comporter comme une dominante l'aurait fait. Ensuite, parce qu'il était temps, en effet, de mettre la situation au clair. Le dos bien droit, elle lui rendit son regard sans faiblir.

« Bien sûr, Daeron. De quoi veux-tu parler ? »

Alors que je m'approchais de nouveau d'elle, voilà que son attitude restait la même qu'à son habitude lorsqu'elle se tenait face à moi. Elle était droite, comme si elle était mon égale. Elle portait ses oreilles en arrière, comme si j'étais un vulgaire petit louveteau qu'elle s'apprêtait à réprimander. Je voyais sa langue sortir furtivement de sa gueule et caresser son museau vivement avant de retourner à l'abri de ses dents tout aussi vite qu'elle en était sortie. Finalement, elle sembla se résigner à m'écouter et peut-être même, daignerait-elle répondre et argumenter quelques mots pour sa défense, ou bien encore pour me rabaisser comme elle avait toujours eu pour ambition de le faire. Dans son regard, l'éclair de la rancune voilait tout autre sentiment. Nul doute qu'elle ne m'appréciait pas et que jamais cela n'avait été le cas depuis que nous nous connaissions. Nul doute non plus, que si elle en avait eu l'occasion elle m'aurait très rapidement expulsé de la meute, sans vergogne. Je doutais encore moins des intentions qui l'animaient quand à mes sentiments pour Birdy, qui malgré toutes les précautions que j'avais cru prendre, avaient très rapidement fait le tour de la meute. Aujourd'hui, aucun Saphir n'ignorait que le Grand Alpha s'était vu royalement ignoré par l'une de ses protectrice qui avait mystérieusement disparu depuis des semaines.

- Bien sûr Daeron, de quoi veux-tu parler?

Son air suffisant avait toujours eu don de m'agacer, mais jamais je ne m'étais permis de montrer ce que je ressentais face à elle, parce que je ne savais que trop bien que cela lui ferait plus plaisir qu'autre chose. Aussi irritante soit-elle, elle ne méritait pas ma colère et encore moins le risque de se retrouver face au Tourmenteur sans vraiment l'avoir cherché. Elle ne savait pas réellement à qui elle s'adressait, et pour toujours et à jamais mon but serait qu'elle ne le découvre pas, comme le restant de la meute Saphir. Me redressant de toute ma hauteur, seulement pour affirmer ma supériorité face à cette louve qui décidément n'était toujours pas satisfaite de ma présence à sa tête, je la regardais intensément et inspirais profondément avant d'enfin reprendre la parole.

- J'ignore si c'est une évidence pour toi ou si depuis toujours je me fais des illusions, mais il semblerait que tu ne m'aie jamais porté dans ton coeur. Je comprends que je ne peux pas plaire à tout le monde. Tu as parfaitement le droit de ne pas m'apprécier. Cependant Iseult, j'espère que tu connais aussi le sens de la hiérarchie, et j'espère que tu es suffisamment adulte pour accepter de respecter certaines règles. Comme le respect, entre autres.

- Je ne te fais pas de reproche, parce que je vois bien lorsque nous sommes en compagnie d'autres Saphirs, que tu retiens tes paroles envers moi. Mais tu cache bien mal ton jeu et je sais aussi que toute la meute connait ton animosité pour moi. Alors, si tu as des reproches à me faire, je t'invite à me les faire dès maintenant.

J'étais bien conscient que j'étais cru et peut-être même un peu brutal. Mais il était grand temps que tout cela cesse et j'avais décidé de jouer carte sur table, pour enfin mettre un terme à ces enfantillages qui nous opposaient depuis maintenant trop longtemps.