Discrétion, Douceur et Pouvoir [PV Daeron & Saëna]

Anthéa

C'est une nuit de plus pour moi, et une dernière nuit pour elle. Elle, c'est Vinie. Vinie, une louve qui a tué récemment deux louveteaux, les siens, sans que l'on ne sache pourquoi. Je ne pense pas qu'elle compte s'expliquer. Mais quand elle sera sur le point de mourir, elle m'expliquera. Certainement dans l'ultime espoir que je lui accorde une faveur, par pitié. Dommage que je n'arrive pas à la ressentir, la pitié. Dommage pour elle, mais tant mieux pour le monde. Cette nuit, ce sera sa fin.
J'ai le temps. C'est la nuit, personne ne sait que je suis sortie. On ne surveille pas les sorties de nuit et j'ai prévu mon coup, je partirai après que les patrouilles nocturnes seront en route vers les frontières. Je prendrai ce chemin sinueux qui mène directement au territoire libre. Car c’est là qu’elle se loge la nuit. C’est ici qu’elle dort, je l’ai observé ces jours derniers.
Les gardiens quittent le camp. Plus personne en vue, c’est le moment. Enfin, je vais accéder à mon petit plaisir interdit. Je ne devrais pas dire ça, oui je ne devrais pas. Mais bon, il faut bien des gens pour se débarrasser des saletés, non ? Je la vois. Elle vient de se coucher. Oh, Vinie, ne t’inquiète pas. Bientôt, tu t’endormiras, une bonne fois pour toute.
J’aime bien que tout soit préparé. J’aime que tout soit réfléchi à l’avance dans ma tête. Et j’aime la répétition rassurante de ma technique de traque. Mes œuvres s’exposent ensuite au grand jour sans aucune trace, heureusement que je fais attention. Je ne veux pas le mal, au fond, mais je pense que les gens ne comprendraient pas.
Je suis là, à l’entrée de la tanière et j’entends des herbes sèches crisser. Elle doit être en train de retourner sa litière. Soudain, je l’envie. Elle arrive chaque soir à aller se coucher, après ses meurtres inexpliqués. Et elle dort paisiblement dans cette tanière, entièrement libre et solitaire. En cet instant, je pourrais très bien me trouver moi aussi dans ma tanière et non dehors, à espionner les dernières heures intimes de ma victime. Mais j’y peux rien, il me faut régler ce problème ambulant. Elle a fait le mal, je vais faire le bien.
J’entre dans le tunnel sombre. Bientôt j’arrive dans la salle, sa chambre. Les grillons chantent au loin, et me rappellent que c’est une nuit bien chaude. Il faudra que j’opère vite. Puisqu’à cette saison chaude, le pire des fléaux est présent en grand nombre. Les mouches.
Vinie dort. J’entends sa respiration régulière. Je m’approche et je lui donne un coup de patte. J’ai préparé la Valériane. C’est une longue préparation de ma spécialité. J’écrase les plantes et les fleurs en une mixture extrêmement fine. Aussi fine que mes griffes qui s’enfilent sous la peau de mes victimes. Et je dépose le liquide, quelques gouttes suffisent avec cette essence concentrée, sur un morceau de mousse sèche. Elle s’imbibe de ma préparation et c’est parti. J’ai la mousse, là, avec moi et j’avance lentement vers le corps inerte de Vinie, endormie. C’est là sa dernière nuit. Le coup de patte l’a réveillée et elle relève la tête lourdement. Je plaque la mousse contre son museau instantanément. Je vois ses yeux qui partent dans un sens inadapté. La voilà partie pour un bon moment, dans sa tête, tout doit être noir.
C’est là que je m’active le plus. Je traîne son corps, alourdi par l’inconscience. Je l’attache avec des lianes, préparées elles aussi soigneusement à l’avance. Quand elle se réveillera, ficelée ainsi, elle paniquera. Et je savourerai ma victoire. Je sers les liens avec force. Je griffe une pierre, alors que mes griffes sont déjà plus pointues que celles de n’importe qui. Mais c’est mon outil. Et je souris, en me penchant au-dessus d’elle. J’attends que ma mixture stoppe son effet. J’attends qu’elle se réveille… L’excitation me gagne.
Ses yeux s’ouvrent doucement et à plusieurs reprises, ils clignent pour s’habituer à l’obscurité. Elle remet ses idées en place, avec difficulté. Et enfin, elle se rend compte qu’elle est attachée. Elle ne peut pas se débattre, les liens sont trop serrés. Je lui offre un magnifique sourire, celui que j’offre à toutes mes victimes. Ce sont mes seuls sourires sincères. Je n’arrive pas à me réjouir en temps normal, je n’arrive pas à être heureuse. J’approche mon visage du sien, et nous sommes si proches que je sens son haleine. Je la fixe dans les yeux et je commence de ma voix doucereuse :
« - Vinie… Explique-moi comment tu fais pour vivre chaque jour avec tes meurtres sur la conscience ? »
Elle me regarde, feint de ne pas comprendre. Mais je sais qu’elle comprend. Je fais lentement glisser mes griffes sur sa fourrure, je descends jusqu’à sa gorge. Elle panique, je le vois dans ses yeux. Elle prend la parole, sa voix est entrecoupée de sanglots :
« - Je… j’ai… j’étais obligé. Pour mon mari… »
J’enlève ma griffe de sa gorge et je lui intime de continuer.
« - Il… allait me tuer si je gardais les petits…
- Vous en débarrasser sans les tuer ne vous est pas venu à l’esprit ?
- Non… »
Elle prend un peu plus d’assurance, sa voix ne tremble plus et ses pupilles dilatées me fixent sans ciller.
« - Je dois avouer que… j’ai pris un peu de plaisir à les tuer. »
Le mot « plaisir » était de trop. Ce n’est pas vraiment ce que j'attendais... Elle était comme moi. Non, en fait, elle était mon contraire. Du moins, je l'espérais.
« - Vinie, vous êtes exactement le monstre que l’on voit en vous. Au revoir. »
Elle veut rétorquer mais je lui fourre de la mousse dans la gueule. Elle veut s’enfuir, mais elle ne peut pas. Je lève ma patte et d’un geste précis et calculé, mes griffes aiguisées à l’extrême s’abattent sur sa gorge, la tranchant nettement. Et je regarde le sang s’écouler. Son sang. Le sang de cette tueuse. Moi, je n’ai pas de meurtres sur la conscience, puisque je débarrasse le monde des saletés. Que ferions-nous sans vautours ? Il faut quelqu’un pour se charger de cette tâche ardue. Je récupère ma mousse, je la dissémine un peu partout. L’odeur se dissipera et demain matin tout sera invisible. En dehors du corps. Vinie, elle, sera exposée aux yeux de tous. A présent, j’applique ma signature. Personne ne sait qui je suis, mais moi je le sais. C’est suffisant. Largement suffisant. Ce serait plutôt mauvais signe si quelqu’un d’autre venait à apprendre mon manque d’émotions. J’entaille à présent les oreilles de Vinie. Son pelage tâché de sang, sa gorge ouverte en une immense plaie béante, ses oreilles aux multiples entailles tels des ailes de vieux papillons. Ce sont les caractéristiques de toutes mes victimes. Une grande liste de loups meurtriers dont le monde se passera bien.
En rentrant, je lave soigneusement mes pattes dans une rivière. L’odeur métallique du sang s’en va au gré du courant. Puis je marche en direction du camp des Saphirs. Je vais enfin pouvoir dormir. Les patrouilles sont déjà rentrées depuis un bon moment. Je n’ai plus qu’à me glisser dans ma tanière.
***
Le soleil est haut ce matin. Il me fait presque mal aux yeux. Je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit, mais j’ai un rythme qui tient. Je m’avance dans le centre du camp et je vois les loups qui s’affairent. Je m’approche du tas de gibier et je vois à quel point il est maigre. Soit, en tant que Traqueur, je suis là pour ça. Je m’approche de l’Alpha et très humblement, les oreilles baissées et la queue pendante, je demande :
« - Puis-je vous demander si vous avez besoin d’aide ? Une patrouille de chasse, peut-être ? »
Cela fait très peu de temps que je suis dans cette meute, je crois que cela fait à peine 1 ou 2 semaines. Lorsque j’ai quitté le cadavre encore chaud de mon père, je m’en allais vers un destin encore plus discret. Et j’ai simulé le deuil et la profonde tristesse en arrivant sur les Terres habitées de Temporal. J’ai croisé sur mon chemin une louve du nom de Saëna, douce et bienveillante, qui presque immédiatement en me trouvant ainsi effondrée, décida de ma ramener dans sa meute, les Saphirs. C’est ainsi que mon histoire ici, débute.

Le temps nous échappe. Si l'hiver s'est montré long et incroyablement froid cette année, nous avons la chance d'avoir un bel été. Nous avons eu deux longues semaines d'une chaleur étouffante mais les Saphirs ont admirablement bien tenu le coup et les chasseurs ont trouvé de quoi nourrir la meute durant le printemps, même s'il a été court et très mauvais. Cependant déjà, les réserves s'éppuisent. Au coeur de notre terre, je tente de démêler tout ce bazard. Beaucoup des miens s'affairent autour de moi pour trier la mauvaise viande et ramener la chair fraiche enterrée préalablement à l'abri des charognards dans certains lieux marqués et facilement repérables. Je pourrais presque dire que ce matin, le chaos règne. Tous les Saphirs ou presque, sont rassemblés ici pour établir l'inventaire de nos réserves. Malheureusement, il s'avère que ces dernières sont presque vides. Malgré la chasse qu'Ombra à lancé il y a de cela quelques jours, la nourriture n'est pas suffisamment abondante pour nourrir treize loups adultes en parfaite santé. Du moins, douze loups adultes et une petite louvette de quelques mois. Vanille est notre petite cadette, la seule loupiotte de la meute. Malgré son jeune âge pourtant, elle est déjà une remarquable petite compatriote. Courageuse comme peu le sont à son âge, elle est dévouée à sa meute et s'est toujours montrée présente et volontaire. Il n'y a pas à dire, cette petite à de l'avenir parmi nous. Je n'en doute pas une seconde.

Malgré son tempérament fantastique, je m'inquiète pour son avenir. Si nous ne parvenons pas à trouver rapidement du gibier, et en abondance, je craints que nous ne restions pas longtemps maîtres de nos terres. Nos énergie ira rapidement décescendo et bientôt, la plus petite des meutes pourra nous mettre au tapis sans se démener. Il nous faut remplir les réserves, et vite. Tandis que je chercher une solution pour faire revenir le gibier vers nous, une voix s'élève, que je ne reconnais pas. Une louve inconnue s'avance, probablement une nouvelle arrivante. Pourtant à l'odeur, elle est déjà parmi nous depuis un bout de temps. Comment cela se fait-il que je ne la connaisse pas, dans ce cas? Peu importe. Puisqu'elle est là, je vais remédier à cela dès aujourd'hui.

- Puis-je vous demander si vous avez besoin d’aide ? Une patrouille de chasse, peut-être ?

Sortant brusquement de mes pensées, je réalise que je la fixe depuis un bon moment et que je n'ai toujours pas répondu à sa question. Je la salue d'un signe de tête, affichant un air parfaitement neutre même si je suis déboussolé par mon manque de tact envers ma propre meute.

- Une patrouille de chasse. Oui, ça me parait être une bonne idée.

Je détaille alors les alentours, mais tous les Bleus sont occupés, bien trop pour faire attention à ma présence. Je ne m'en plaindrais pas, je suis ravi de constater que mon existence ne les déboussole pas. Après tout, je ne suis là que pour servir nos terres, et eux. Si chaque fois que j'étais dans les parages, tous s'arrêtaient de vivre, nous courrerions droit à la catastrophe et pire, à l'extinction de la meute. Je regarde chaque loup l'un après l'autre, je cherche les moins occupés et les plus aptes à tenir une partie de chasse avec louve inconnue et moi-même. Un peu plus loin, derrière un groupe de loups triant la viande avariée, je vois une louve qui attire mon attention. Elle est seule, travaille de son côté sans demander de l'aide à personne. Pourquoi aucun des Saphirs ne lui vient en aide de son plein gré? A-t-elle des problèmes avec les autres? Et puis, je me souviens d'elle. Elle a chassé avec moi et plusieurs autres louves durant la partie de chasse entamée par Ombra. Elle s'est d'ailleurs montrée d'une efficacité remarquable et en la regardant, un éclair de malice jaillit dans mon regard. Je la veux, pour aujourd'hui. Elle nous sera indispensable, d'autant que je sens en regardant le reste de la meute, qu'il nous faudra nous débrouiller à trois. Mais je n'ai aucun doute en les capacité de cette femelle dont j'ignore le nom, et en les miennes. Par contre, je ne sais rien en ce qui concerne celle que je viens de rencontrer. Alors, avant de me diriger vers la louve blanche au loin, je me retourne une dernière fois vers l'inconnue.

- Euhm... Quel est ton nom?

Je m'en voulais de poser une question aussi stupide mais il fallait bien commencer quelque part et je supposais que de connaître son nom serait un bon début. Sans la quitter du regard, je me promettais que dorénavant, je serais le premier à rencontrer les nouveaux arrivants Saphirs.

Les pâles rayons matinaux du soleil vinrent caresser la fourrure d’une louve de nacre qui avait arpenté toute la nuit durant les territoires de son clan actuel, sans trouver le repos. D’incessants cauchemars l’avaient taraudé sans qu’elle ne puisse les évacuer, apposant à son esprit des images plus ignobles les unes que les autres. Entre autres, le visage de sa mère, dénué de toute son exquise beauté et de sa jeunesse éternelle, s’ébauchait dans ses pensées morbides, aux traits complément émaciés et aux yeux livides comme la pâleur d’un mort. Un brusque frisson saisit la princesse déchue quand elle y repensa. Avait suivi au mirage du visage de sa mère presque méconnaissable le corps inerte de ce tendre Nagash qui avait constitué pour elle son premier amour, à l’âge tendre où l’on ne pense qu’à flâner avec la gent masculine sans se soucier de l’avenir qui se dessine sous nos yeux. Nagash qui était mort. Nagash qui ne faisait plus partie des vivants et qui s’était dépêché de sceller un pacte avec la mort. Nagash dont le corps puissant lui revenait souvent en mémoire, un corps puissant qui avait réussi à la séduire lors même qu’elle n’était qu’une jeune louve à peine sortie de l’enfance. Et de ça, il était le seul à avoir pu s’en targuer un jour puisqu’elle n’avait jamais plus eu de relations sentimentales avec un autre. Non pas qu’elle n’ait plus éprouvé ces terribles émotions, mais c’était le fait qu’elle n’avait jamais pu oublier ce louveteau plein de joie de vivre et qui s’était révélé, au fil des années, un loup imposant non dépourvu de grâce et de charme. Ses parents n’avaient jamais prohibé cet amour naissant qu’elle avait dû leur avouer, et Nagash aurait pu ainsi régner à ses côtés. Si, encore une fois, le cruel destin ne s’en était pas mêlé, et s’il n’avait pas en fait sorte que le solitaire qu’il avait été disparaisse jusqu’à ne plus laisser qu’une seule certitude dans l’esprit de ses congénères. Il avait péri. Comment ? La question s’était posée de nombreuses fois et l’on avait jamais manqué de la ressasser jusqu’à ce que Saëna en éprouve un indéfectible mal de cœur, jusqu’à ce qu’elle se mette à fondre en larmes à la pensée de cet être qui avait tout constitué pour elle. Absolument tout ce qu’elle avait été en mesure d’éprouver à son égard. De l’amour, de l’amour et encore de l’amour, jusqu’à n’en plus savoir que faire. En somme, ç’avait été une des nuits les plus affreuses que Saëna avait eu le déplaisir de pouvoir vivre, et elle espérait de tout cœur que l’occasion ne se présente pas à elle de lui refaire vivre pareilles choses. Il n’y avait rien de plus terrible, sûrement, que de revoir des images semblables, des images du passé que l’on s’était efforcé d’oublier. Et la louve de nacre, malgré les apparences, n’avait cessé de pleurer jusqu’à ne plus pouvoir verser la moindre goutte, jusqu’à ce qu’elle eut épuisé toutes les réserves de son corps. Ce fut les yeux rougis qu’elle s’était levée, non sans pousser un soupir de soulagement quant à la vue du soleil naissant qui annonçait la fin de cette longue et effroyable nuit, peuplée de cauchemars plus saisissants les uns que les autres. Elle était donc là, au sein d’une forêt qui restait lugubre malgré les rayons du soleil qui s’infiltraient à travers les frondaisons des arbres, teintant le sol moussu d’une couleur d’émeraude. A chacun de ses pas, la fatigue se faisait ressentir et la louve de nacre se sentait sur le point de défaillir à tout moment, tombant pour ne plus jamais se relever. Les lèvres crispées, elle continuait malgré tout de cheminer en embrassant le paysage de son regard azuréen qui ne laissait pas de marbre, ou du moins très rarement. Malgré tout ce qu’elle pensait d’elle, malgré le fait qu’elle ne se considérait plus que comme une lâche puisqu’elle avait abandonné sa meute légitime à son propre sort, Saëna restait une battante. Et non dépourvue d’un certain courage. Du haut de ses quatre ans, elle avait vécu sûrement plus d’évènements tragiques dans sa vie que n’importe quel autre loup de sa connaissance, et avait dû affronter ses pires craintes en ces quelques courtes années. Cela lui avait apporté de l’expérience, comme amené du malheur. Beaucoup de malheur. Mais là encore, je ne reviendrais pas dessus. Tout le monde s’accordera à dire qu’il ne sert à rien de ressasser le passé, qu’il ne sert à rien de ruminer des pensées aussi sombres et morbides, je suppose? Alors il ne sert plus à rien de parler du passé de Saëna, un passé funeste et bouleversant qui fut rythmé par des pleurs, des cris et plus de souffrance que vous ne pourriez vous imaginer.
Le soleil était déjà haut maintenant et Saëna avait marché vaille que vaille toute la matinée durant. Lorsqu’elle pénétra dans le camp de sa meute actuelle, son cœur se pinça douloureusement alors qu’un mot, un seul mot voguait dans son esprit. Traîtresse. Et elle avait toutes les raisons du monde de penser qu’elle en était bien une. Saëna avait beau faire partie des Saphirs, son corps et son âme tout entier n’étaient dévoués qu’à la meute dans laquelle elle avait grandi, qu’à cette meute bienveillante qu’incarnaient les Diamants mais qu’elle ne pouvait se résoudre à intégrer de nouveau. Et puis, de toute façon, qu’y ferait-elle? Comment l’accueillerait-on? Se souviendrait-on seulement de cette louve qui avait été l’héritière directe, première prétendante à la dominance? Non. Ou alors, on la caractériserait plus que par l’ignoble mot de « lâche » qui reflétait bien ce qu’elle pensait d’elle-même. Finalement, oui, elle n’avait plus rien à faire dans ce clan qui avait tout représenté pour elle. Un interminable soupir s’échappa alors de ses les lèvres satinées tandis qu’elle balayait du regard le camp où régnait une agitation effervescente, où chacun des loups présents s’affairaient sans prendre le temps de se parler. Il était bien loin ce temps où Saëna n’avait pas à se soucier des réserves de victuailles, mais c’était désormais son travail en tant que membre à part entière du clan et ce fut ainsi qu’elle se mit à œuvrer pour le bien-être et la prospérité de la meute. Elle s’efforçait de s’appliquer dans son ouvrage mais le cœur n’y était pas. Pour ainsi dire, pas du tout. Elle était seule, comme bien souvent. Comme toujours. Seule, à chaque instant, à chaque jour qui s’écoulait, inexorablement. Et la solitude finissait par l’abattre, la submergeant d’un sentiment d’amertume et de chagrin ineffable. Ce fut tout juste si elle ne se mit pas à pleurer tout en trimant dur comme elle en avait l’habitude pour oublier la peine qui la tenaillait sans relâche. Mais non, la princesse qu’elle avait été dans le temps n’aurait pas versé de larmes et aurait continué de garder la tête haute malgré les circonstances, l’allure altière et le regard vif.

« Puis-je vous demander si vous avez besoin d’aide ? Une patrouille de chasse, peut-être ? »

Une voix qui ne lui était pas inconnue retentit alors à ses oreilles et lui fit lever la tête, détachant son pâle regard des caisses de vivres qui s’amenuisaient peu à peu. Ses prunelles se reportèrent sur la silhouette d’une louve qui se distinguait des autres et qui faisait face à un mâle imposant et puissant. Daeron. Le dominant de la meute. Discrètement, Saëna les observa tous deux avant de discerner que la louve en question n’était autre qu'Anthéa, une nouvelle recrue qui avait entre autre rejoint le clan grâce à elle. Saëna ne se souvenait que trop bien des conditions déplorables dans lesquelles elle avait trouvé cette femelle, et elle ne cessa de se les ressasser tout épiant furtivement ses deux congénères. Jusqu’à ce que l’alpha porte son regard sur elle. Elle soutint le sien quelques instants, dardant sur lui ses prunelles d’azur mais finit par baisser docilement la tête en louve soumise qu’elle était devenue. Dans cette meute, elle n’avait plus son mot à dire et c’était bien normal. Tout en s’affairant comme ses semblables qui l’entouraient sans pour autant venir lui adresser la moindre parole, Saëna levait de temps à autres les yeux vers les deux loups qui semblait échanger quelques paroles. Que n’aurait-elle donné pour savoir quoi, au juste. Surtout que la nouvelle recrue intriguait fortement la louve de nacre qui n’avait pas eu le plaisir de dialoguer avec elle plus que nécessaire, bien que l’envie soit là. A vrai dire, elle n’en avait jamais eu le temps. Ainsi, les minutes défilèrent, inlassablement, et Saëna se retrouva dans l’obligation de s’occuper d’une autre caisse de victuailles lorsque trimer sur la première ne lui fut plus d’aucune utilité. La seule qui restait libre ne se trouvait alors qu’à quelques pas des deux loups et se fut l’échine courbée, la tête basse, désireuse de ne pas se faire remarquer et de passer pour une sorte d’espionne que Saëna reprit son travail. Sans se douter ne serait-ce une seconde que le dominant s’intéressait un tant soit peu à ses qualités de chasseuse et que l’idée de l’embarquer dans une de ces parties de chasse avait germé dans son esprit.

Lorsque le grand mâle roux jeta un regard en direction de Saëna, je sus immédiatement ce qu'il comptait faire. Tous les loups étaient grandement occupés, il ne restait pas beaucoup de possibilités pour constituer une patrouille de chasse. Quel meilleurs éléments que ceux choisis par l'Alpha ainsi que l'Alpha lui-même ? Je souris intérieurement à l'idée de de chasser en compagnie de Saëna. Lors de mon arrivée, je n'avais pas eu le temps de parler avec elle puisque j'avais été directement emmené chez le Druide pour "prendre des calmants". Tous les loups agissaient donc ainsi face au chagrin ? Ils étaient tristes, ils prenaient des médicaments et les voilà mieux ? En tout cas, ce jour-là, pour la crédibilité, j'ai véritablement avalé les herbes. Et ça m'a bien "calmé", ça c'est sûr, j'ai dormi toute la journée. Drôles de réactions. Aujourd'hui, je pourrais observer un peu Saëna. Elle me semble peu bavarde et c'est exactement le genre de connaissances qu'il faut que je me fasse ici. Avoir une telle connaissance dans le Can me ferait passer bien plus inaperçue que si je reste la "Solitaire Eternelle". Une des règles de base de la survie est de s'intégrer au plus vire dans l'environnement pour se fondre dans le paysage.
Daeron se tourna à nouveau vers moi un instant, me posant une question tout simple.
"- Quel est ton nom ?"
Cette question était pour moi le signe que jusqu'à maintenant j'avais été parfaitement discrète, du moins assez pour n'être qu'une présence dans la meute. Il me fallait le rester. Mon expression toujours neutre montrait à mon interlocuteur que je n'avais strictement aucune pensée en cet instant précis.
"- Anthéa."
Il hocha la tête et se mit en marche visiblement vers Saëna dont il avait capturé le regard. Bingo. Encore gagné. Bravo ma vieille, tu t'améliores.
Je le suivis de peu, restant légèrement en retrait, afin d'entendre leur conversation sans les gêner.
Où allions-nous chasser ? Il ne faut pas que je me fasse remarquer de l'Alpha. J'espère en tout cas qu'on ne sortira pas du territoire. Pour le moment, je n'ai pas fait beaucoup de victimes, une seule en fait, hier soir, dont d'ailleurs le cadavre froid doit toujours giser en territoire libre.
Je soupirai de soulagement en mon for intérieur lorsque j'entendis le nom d'un territoire Saphir familier dans leur discussion. En route.

Alors que je détaillais la louve blanche au loin, je remarquais dans son regard une lueur qui m'étais familière. Elle soutint mon regard un moment, puis détourna les yeux comme à regret, mais visiblement résignée. A ma certitude, elle pensait quelque chose qu'il ne m'était pas permis de partager avec elle. Puis, mon attention fut redirigée vers la louve inconnue qui partageait un carré d'herbe avec moi. Elle n'était pas affairée comme tous les autres Saphirs et malgré l'illogique de la situation, je ne m'en posais pas plus de question. Après tout, elle avait eu une bien meilleure idée que de trier la viande avariée, elle avait pensé que chasser serait une bonne chose. J'espérais seulement qu'elle en avait les capacités, et que son aide serait aussi précieuse que celle de nos officiels traqueurs. Pourtant, elle me semblait tout à fait apte et son visage m'inspirait la confiance. C'est avec une bonne intuition que je partais en direction de la louve blanche au loin, dont j'ignorais également le nom. Que je pouvais me sentir con, ces derniers temps! C'est simple: Je ne connaissais que Birdy. Bon, j'exagère un peu, mais quand même, j'étais sûr que j'aurais pu faire mieux ces derniers mois.

Alors que je tournais mon regard vers l'endroit où j'avais laissé la seconde inconnue avec qui j'avais déjà chassé, voilà qu'elle avait soudainement disparu de mon champ de vision. Un instant dérouté, je tournais la tête en tous sens pour la retrouver, et dénichais sa nouvelle cachette bien rapidement. Elle s'était seulement déplacée pour s'occuper d'un autre monceau de viande. De nouveau, je reprenais cette marche lente et fière, le port de tête et de queue le plus altier possible. Même si j'appréciais de passer un tant soit peu inaperçu au sein des miens, j'aimais tout de même faire bonne impression, ne fut-ce qu'en un clignement d'yeux échangé. En un certain nombre de pas je la rejoignais et de nouveau son regard se portais sur ma carrure imposante. De là, rejetant une fraction de seconde ma tête sur le côté, je remarquais qu'Anthéa m'avait suivi, restant pourtant à l'écart. Ne voulant brusque ni l'une ni l'autre, je ne lui enjoignais pas de nous rejoindre. Je supposais qu'elle prendrait l'initiative de le faire lorsque je moment en serait opportun. Je détaillais un léger instant la jeune louve face à moi, me demandant si elle préférerait trier la viande ou chasser avec deux de ses congénères de meute. Je me raclais la gorge très discrètement, ne souhaitant pas être victime d'une crise d'aigu dans son timbre habituellement grave.

- Bonjour, je me demandais, si une petite partie de chasse t'intéresserais? J'ai vu que tu travaillais seule et, loin de moi étant l'idée de te forcer à me l'expliquer, j'ai pensé que peut-être tu aurais envie de faire autre chose que du tri? Anthéa et moi-même nous apprêtons à partir en traque, si cela peut t'intéresser.

Je lançais un léger coup de museau vers Anthéa pour appliquer mes paroles, la présentant à la jeune femelle et l'invitant en même temps à nous rejoindre. Au vue du regard qu'elles s'échangèrent, je me demandais alors si elles ne se connaissaient pas déjà, et me sentais encore et toujours plus con qu'à mon habitude. Parfois, dans des moments pareils à celui-ci, me venait à l'idée que peut-être je devrais laisser ma place d'Alpha à un loup qui connaîtrait mieux les Saphirs que moi...