J'étais en colère depuis quelques jours. Je me sentais frustré de ne servir à personne. J'avais besoin de me sentir utile, c'était vital pour moi. Je ne pouvais rester dans une meute si je n'avais pas un rôle à y jouer. Et là, rien. Le calme plat. les Saphir n'ayant pas le moindre dominant, et donc pas la moindre portée d'héritiers, mon rôle était totalement laissé de côté. Je ne savais pas quoi faire, je m'ennuyais à mourir et pire encore, personne n'était conscient de ma frustration. Je n'avais toujours pas rencontré le moindre Saphir, je ne savais donc toujours pas la raison de cette absence illogique de dominant. je me sentais vraiment en colère. Presque au bord de la fureur. Cet après-midi là, fusse-t-il magnifique et ensoleillé, je mourrais d'envie de croiser un étranger et de l'abattre sans aucun scrupule. Mais à quoi bon? Pour protéger qui? Ma meute? Quel intérêt de les protéger? Il n'avait aucun avenir sans un Alpha digne de ce nom!
Remuant mes idées noires, je m'étais considérablement éloigné du camp. La tête basse, les oreilles en arrières maintenues par ma colère, mon regard sauvage baissé vers le sol, je ne m'étais pas rendu compte de l'endroit où je me trouvais.
Lorsque j'en prit conscience, mon sentiment de rage était tellement présent et ancré dans mon esprit que je ne vit pas le lieu comme la description que chacun en faisait: le plus bel endroit des terres Saphir. Une cascade magnifique où le soleil laissait refléter ses rayons comme dans un rêve enchanté. Non. Moi, je ne voyais que de l'eau, des arbres et du sable. Je ne supportais pas cette vie simple faite de promenades et de repas bien fournis. Trop de proies faciles, trop de repos et trop de loups.
Mais, bien vite mon cerveau rebrancha la connexion avec mes muscles. Là, juste devant moi, se tenait une louve. Saphir ou non, je l'ignorait complètement. Elle était rousse, tout comme moi, mais moins voyant tout de même. De ce côté-là, personne ne rivalisait avec moi, et j'étais loin de m'en vanter. Heureusement que je n'étais pas chasseur. Avec cette robe, je n'étais pas prêt de rapporter de quoi nourrir la meute!
Silencieusement, je m'approchais de l'inconnue. Mais malgré la surprise de sa présence, ma colère était toujours là, bien présente et pas prête de partir. Sans le vouloir, je m'adressais à elle durement.

- Qui est-tu? Que fais-tu ici?

Je me dressais, haut sur mes puissantes pattes. Sous la colère, j'étais prêt à lui sauter à la gorge. A moins que ça n'ait été mon caractère qui ressortait naturellement...

Contre toute attente, l'inconnue s'assit et soupira, l'air bien installée et pas prête de s'en aller. Je n'étais déjà pas d'humeur, la présence de cette louve n'arrangeait rien à mes sentiments présents. En tant que protecteur, je gardais cependant mon calme et restait immobile, prêt à l'attaque. J'analysais silencieusement la femelle. Elle était d'un gabarit léger, comparée à moi. Mon avantage ici résidait dans ma force. Son avantage à elle était probablement la vitesse. Elle était fine et élancée, donc probablement rapide. Moi en revanche, je ne payais pas de mine si je commençais une course poursuite contre elle. Mais ce n'était pas mon genre de me démonter. Avec mes facultés et mes incapacités, jamais je ne partais perdant. Je tentais toujours ma chance, quelque soit l'épreuve. Je pars du principe, que ça passe ou ça casse.
Confiant, je faisais quelques pas vers elle puis m'arrêtais à bonne distance, restant debout face à la louve. Je lui lançais involontairement un regard noir et lourd de sens avant de prendre la parole une nouvelle fois, d'une voix dure.

- Il me semble t'avoir posé une question. Et je ne la répéterai pas deux fois. Réponds ou je me verrais dans l'obligation de te considérer comme une menace pour ma meute. Et si tu es une menace, je me dois de t'éradiquer.

Je la dévisageais et l’examinait des pattes à la truffe.

- En combat, tu n'aurais aucune chance. A moins d'être stupide, tu prendra la meilleure initiative.

Même si je n'avais que très peu de chance de la rattraper à la course, je parviendrai largement à la repousser de mes terres, et cela me serait amplement suffisant.

Je n'eu pas réellement le temps de comprendre la situation, et encore moins de répondre à ses paroles qui me semblaient si stupides.
Elle avait filé derrière moi à une vitesse qui, je devais bien l'avouer, était fulgurante. Mais elle était partie, j'en suis sûre volontairement, à l'opposé de la sortie du territoire Saphir. Elle s'en allait à toutes pattes vers le coeur même des terres de ma meute: notre camp. Hors, je refusais de laisser une inconnue, puisse-t-elle faire partie de ma meute, s'infiltrer impunément sur mes terres où elle représentait un danger pour les miens. De mes puissantes pattes, je partais moi aussi à toute allure. Je savais qu'elle m'échapperait facilement si elle en avait envie. Mais quelque chose me disait qu'elle ne le ferait pas. Elle avait semblé vexée que je fasse une remarque sur son gabarit face au mien, et je pouvais deviner qu'elle voulait à présent me donner une leçon grâce à son propre atout: la vitesse.
Et puisque mentalement je ne partais jamais perdant dans un défi, je me donnais à fond pour la rattraper. Par moments, je la voyais, loin devant moi dans les lignes droites à travers les arbres de ma forêt. Mais chaque virage la faisait disparaître de mon champ de vision et je ne la revoyait que plus tard, bien plus éloignée que la fois précédente. Le temps passa durant notre course, et malgré ma grande endurance, je commençais non seulement à perdre patience, mais aussi mon énergie. Je me sentais peu à peu chavirer dans le manque d'air. Mon coeur et mes poumons me lâcheraient bien trop tôt si je continuais encore longtemps. Mes muscles saillants ne me faisaient pas le moins du monde souffrir puisque je les entraînais depuis toujours à surpasser leurs limites. Mais je ne pouvais demander une telle chose à mes organes vitaux, qui n'obéiraient sûrement pas à mon cerveau en cas de surplus et n'hésiteraient pas à s'arrêter net.
Lentement, je la voyais s'éloigner de plus belle alors que je ralentissais petit à petit.
Finalement, la langue pendante je m'arrêtais une bonne fois de courir inutilement, m'accrochant sévèrement à la vie pour ne pas laisser filer mon dernier souffle.

Alors que je reprenais difficilement mon souffle, la louve revint vers moi comme je m'y étais attendu. J'étais misérable. Tête basse, langue pendante, bavant comme un pathétique chien domestique. Lorsqu'elle arrivait près de moi, je rentrait ma langue malgré mes envies de la sortir de ma gueule, et je redressais autant que possible ma pauvre tête dans laquelle je sentais mon sang battre à mes tempes.
Contre toute attente, elle se présenta à moi comme une traqueuse émeraude. Son nom était Trybal. A cette information, je grognais d'abord, en colère. Je n'étais pas le genre de loup à faire connaissance avec des étrangers. Mais je devais bien avouer que sa performance avait fait son effet sur moi, et que le caractère que semblait avoir cette louve m'intriguait en plus de m'amuser. Je recouvrais donc mes dents de mes babines et cessais mon regard agressif, tout en respirant de nouveau normalement. Pour la première fois depuis notre rencontre, je la regardais comme une égale, et cela semblait faire son effet aussi sur la louve en face de moi. Malgré son air taquin, je savais qu'elle était prête à tout moment pour me balancer sa victoire au visage, elle me regardais elle aussi d'une façon nouvelle.
La tête haute, le regard fier sans être supérieur, je me présentais à mon tour.

- Et je suis Daeron, Protecteur des Saphir.

Je lui laissais d'abord le temps d'enregistrer, si elle le voulait, et de m'analyser avec cette nouvelle information, avant de reprendre la parole. Ma voix était calme, mais dure sans mauvaises intentions de ma part.

- Puis-je savoir ce que tu es venue faire sur les terres de ma meute?

Puis je m'asseyais, patientant calmement jusqu'à ce qu'elle me réponde... Ou non.

- Et bien, cher Daeron, tout d'abord enchantée. Je suis venue ici pour faire ta connaissance. On m'a beaucoup parlé de toi et... Et on ne m'a pas menti ! Tu es exactement comme on t'as décris...

Pour me rencontrer moi? Quel mensonge incroyable! J'étais d'abord très septique, et n'ayant naturellement jamais fait confiance à personne, je ne la croyais pas en premier lieu. Mais si c'était un mensonge, alors elle était une excelente comédienne. Je décidais d'entrer dans son jeu. Malgré moi, je me sentais d'une humeur joueuse aujourd'hui, et puis, tant qu'elle restait là à papoter avec moi, ma meute et mes Alpha étaient en sûreté. Ne dit-on pas "il faut être proche de ses amis, et encore plus de ses ennemis"? Alors, d'une voix sereine et d'un regard qui se voulait amical autant que je le pouvait, je lui répondais.

- Me rencontrer moi? Je dois avouer que c'est flatteur.

Je lui donnais un de mes rares sourires, mais je doutais qu'elle soit consciente de cette rareté. Je continuais sur le ton de l'intérêt.

- Et, pourrais-je savoir comment l'on m'a décris à toi?

Enfin, je cessais de parler. Je ne savais pas si elle était réellement ici pour moi, et j'en doutais puisque je venais seulement d'arriver, et que donc personne ne me connaissais. De plus, si elle était réellement ici pour me rencontrer, elle n'aurait pas chercher à m'humilier dès notre premier face à face. M'enfin... peut-être l'avais-je cherché. Quoi qu'il en soit, je préférais la savoir devant moi, plutôt qu'en libre vadrouille sur mes terres.
Je tentais une attitude joviale, mais ce n'était pas du tout mon fort et j'ignorais si elle croirait longtemps à mes airs de gentil loup.

- Et bien, il faut dire que vous avez du succès auprès des femelles Emeraudes.

Après un sourire que je ne pu que croire, elle reprit la parole.

- Et, en tant que Traqueuse de ma meute, on m'a demandé de soutirer des renseignements. Et, par chance, je suis tombée sur vous !

Ces dernières phrases ne me plaisaient pas. Si cette louve pensait que je lui indiquerait quoi que ce soir sur ma meute, elle était tombée sur le mauvais loup. Mais j'avais assez confiance en moi pour continuer cette discussion. Je savais à coup sûr que je ne mettais pas ma famille en danger en bavardant avec elle, puisque jamais je n'aurais été suffisamment idiot pour dévoiler des secrets importants. j'étais quelqu'un de fiable, de plus je ne parlais que très peu avec les autres loups, et encore moins avec des étrangers à ma meute. Hors, elle était non seulement louve, mais aussi étrangère à ma meute. je n'allais donc sûrement pas m'attarder auprès d'elle. Uniquement le temps qu'elle décampe de mes terres.
Après sa première phrase je lui donnais un sourire charmeur dont j'avais le secret, l'air faussement flatté, même si je doutais qu'elle tombe dans le panneau. Puis je prenais une allure fière et digne avant de lui répondre d'une voix grave et assurée.

- Je suis flatté d'avoir autant de succès. Cependant, si tu cherche des informations, tu n'es pas dans la bonne meute puisque personne ici ne te donnera d'information. Et tu es avec le mauvais loup. Je ne suis pas du genre à papoter avec une inconnue, surtout lorsqu'il s'agit en plus d'une étrangère.

Debout, droit sur mes pattes, je lui faisais face, enfin remis de notre "petite" course.

Je lui lançais un air de contentement.

- Enfin nous y voila. Pourquoi avoir besoin de tourner autour du pot aussi longtemps?

D'abord je laissais un temps de silence, puis je reprenais d'une voix résignée et quelque peu déçue.

- A mon tour je vais être honnête avec toi. Je ne pourrais te donner aucun ragot comme tu dis, sur ma meute, parce que je n'en n'ai encore rencontré aucun membre.

J'avais hâte qu'elle quitte mes terres, mais malheureusement pour moi elle semblait ne pas vouloir partir sans ses précieuses petites histoires.
Résigné, je restais planté devant elle, prêt à la guider vers un autre loup, et en aucun cas à la laisser partir seule à l'aventure sur mon propre territoire.
J'espérais cependant qu'elle partirait simplement, sans demander son reste.

Alors qu'elle me demandait comment j'étais devenu Protecteur de ma meute, je me rendais compte qu'elle était déçue par chacune de mes réactions depuis le début de notre dialogue. je ne comprenais toujours pas les réelles raisons de sa présence ici, et il semblerait que je ne parvienne pas à saisir cela avant longtemps. Gardant mon sérieux et mon air dur, je lui répondais d'une voix grave.

- Je suis un protecteur, mais puisque tu veux absolument tout savoir, mon rang n'est pas officiel. J'attends qu'un alpha soit nommé à la tête de ma meute pour qu'il me nomme lui-même protecteur.

Je commençais sincèrement à saturer des répliques de toutes ces louves que j'avais rencontrées jusque là. Toutes outrées lorsqu'elles apprenaient que je venais d'arriver, toutes plus étonnées les unes que les autres lorsque je leur disais que je ne connaissais ni le chef de meute, ni celui qui était censé prendre telle place. Plus je passais de temps en la compagnie de cette Trybal, et plus je regrettais de ne pas l'avoir attaquée à la seconde où je l'avais vue sur mes terres.
Décidément, avant d'arriver ici, j'étais loin de me douter qu'il me serait aussi difficile de canaliser mon tempérament mauvais et solitaire.

- Mais, à quoi sert un Protecteur si il n'y a pas d'Alphas ?! Ah... Oui. Protéger les Bêtas, c'est vrai. Mais, comment pouvez-vous être sûr qu'un présumé futur dominant vous nomme Protecteur ? Il choisira peut-être un autre loup que vous...

Ses remarques, ses idées, tout en elle me déplaisait. Elle commençait à me faire perdre patience, et cela semblait la ravir. Je regrettais de lui avoir énoncé l'absence de notre alpha, puisqu'elle n'était pas de meute et que par conséquent, elle n'avait aucune raison d'en être tenue informée, au contraire. Je sentais en moi, monter ma colère. Je restais le plus possible impassible, mais ma voix trahissait mon énervement.

- Premièrement, cela ne te concerne en rien. Mon sort n'est pas parmi tes préoccupation. Deuxièmement, je serais protecteur, parce que c'est le rôle que je veux, et qu'aucun alpha ne sera disposé à me le refuser.

Tentant de garder mon calme malgré la situation qui me déplaisait et mon envie de la virer de mes terres à coups de crocs bien placés, je reprenais d'une voix plus posée.

- Bon, tu as maintenant toutes les informations que je pouvais te donner. Quand comptes-tu quitter les terres de ma meute?

Elle s'éloignait dans le but de partir à la recherche d'un autre Saphir. Sans montrer ma colère, mais conscient qu'elle était loin d'être bien cachée, je me postais devant elle en un grand bond, grognait en la fixant dans les yeux, et prenait la parole sur un ton des plus durs, sans répondre à ses dernières paroles.

- Il est hors de question que je te laisse vadrouiller sur mon territoire sans surveillance.

Je gardais un moment le silence, doutant qu'elle filerait à l'aide de sa rapidité et me sèmerait bien vite. Je reprenais sur le même ton.

- Je sais que si tu en as envie, tu filera entre les arbres et que je ne pourrais te suivre pareille allure. Mais mon odorat et sans pareil. Je te suivrais à l'odeur, et si quoi que ce soir se passait sur mes terres, avec ton odeur sur le passage, tu en paierais très chers les conséquences.

D'abord, je m'attendais à ce qu'elle me répondre sèchement et m'envoie une nouvelle vanne bien placée. Mais je réfléchissais en même temps à ses dernières paroles, et me disais que moi aussi, je détestais lorsqu'un loup inconnu prétendait deviner ce que je pensais ou ressentais.
Fuyant un instant son regard, je la fixais de nouveau dans les yeux, mais mon regard se radoucit, même s'il était toujours dur et impénétrable. Ma voix aussi se fit moins dure.

- Et... Je ne prétends pas connaitre ce que tu pense ou ressens.

Me plaçant à ses côtés, espérant qu'elle ne disparaîtrait pas comme une fusée, je me mettait en marche d'un pas lourd et lent. Poliment, je l'invitait à marcher avec moi.

- Allons chercher ce saphir dont tu as besoin.

Déterminée, la louve resta plantée là et décida de partir à l'opposé de ma direction. Dans un soupir, je la suivais en trottinant lourdement pour la rattraper.
J'arrivais facilement à son niveau, puisqu'elle n'avait pas prit la même allure qu'à notre rencontre, plus tôt dans la journée.
Une brise légère caressait nos pelages dans le sens du poil. D'abord ignorant, je finissais pas jeter à oeil à la louve qui m'accompagnait, ou plutôt, que moi-même, j'accompagnais. Les poils dans le vent, elle semblait une louve joviale, et pleine de vie. Je me demandais, si comme moi elle se donnait des airs face aux autres loups, pour cacher ses véritables sentiments.
Mais je me reprenais vite. Je ne voulais pas sembler intéressé par une louve étrangère à ma meute, et encore moins celle-ci, dont la présence m'était si désagréable quelques minutes plus tôt.
Je réalisais alors que lorsqu'elle ne provoquait pas la colère d'autrui, elle devenait... Quelqu'un...

Du coin de l'oeil, le plus discrètement possible je les observais, elle et sa démarche noble, élégante. Le silence qui me plaisait plus que tout sembla la déranger, puisqu'elle entama la conversation.

- Alors, t'as quel âge ?

Cette question me surprit quelque peu, mais moins que ce à quoi j'aurais pensé. Son ton moins "cherche les ennuis" que le reste de notre discussion, me laissa d'abord perplexe. Cette louve me semblait des plus difficiles à cerner. J'étais un bon observateur, discret et efficace. Mais je devais avouer que j'avais du mal à discerner ce qui était vrai de ce qu'elle voulait faire croire. Inconsciemment, elle me faisait étrangement penser à un loup que je connaissais bien: moi. Pourtant, je cachais mon trouble et tournais ma tête vers elle, pour entrer mon regard métallisé dans le sien.

- Je suis dans ma quatrième année de vie.

Je me fichais pas mal de son âge, et ce n'était pas de mes habitudes de répondre "Et toi?". Aussi restais-je silencieux. Si elle souhaitait m'informer de quoi que ce soit sur sa personne, elle me le dirait. Je ne posais jamais de question aux loups, parce que j'estimais que cela ne me regardais pas.