A ma grande surprise, elle ne rajouta pas un mot après ma réponse. Elle sembla d'abord crispée, et je souriais en imaginant la lutte qu'elle devait subir intérieurement pour ne pas parler à nouveau. Et puis, les minutes silencieuses s'écoulant tranquillement au rythme tranquille de notre marche, je la sentais se décontracter et peut-être même, mais je n'en n'étais pas sûr, prendre plaisir au calme de la forêt.
Je gardais moi aussi mon mutisme habituel et regardais droit devant moi. Ne connaissant aucun membre de ma meute, je m'imaginais bien croiser un étranger sans même le savoir. Après tout, si Trybal ne m'avait pas informée de son appartenance aux Émeraudes, j'aurais été incapable de le deviner tout seul. Elle aurait pu, si elle l'avait voulu, se faire passer pour une alliée sans la moindre difficulté. Je me serais alors fais berné comme un pathétique louveteau.
Sortant de mes pensées, je trouvais la situation bien plus plaisante qu'à son commencement.
Si j'avais été moins borné, je lui aurais fait un compliment sur sa démarche.
Si j'avais été moins têtu, je l'aurais regardé dans les yeux pour lui dire à quel point son regard était attirant.
Si j'avais été un autre loup, elle m'aurait sûrement plu. Elle, son caractère et ses allures de princesse rebelle.
Mais je n'étais pas un autre loup. j'étais moi, Daeron. Celui qui tua sa propre mère et tous ses frères et soeurs, pour se venger d'un privilège non acquis. J'étais Daeron, le Tourmenteur.

Tout à coup, elle me fit face, l'air très sérieux.

- Pourquoi personne ne tient à en savoir plus sur moi, tu crois ? Serais-je si... Inintéressante pour que l'ont me porte un intérêt ?

Comment lui dire que ce n'était pas contre elle? Comment lui dire que j'étais né comme ça, avais grandis comme ça? Comment lui faire comprendre que si je n'avais pas eu cet esprit particulièrement solitaire et sauvage, je lui aurais posé des tas de questions sur elle, sur sa vie, son passé...? La véritable question que je me posais était en fait la suivante : Comment lui parler? J'étais moi. Je ne parlais pas, ne m'intéressais pas aux autres. Je remplissais ma part du boulot pour la meute, et basta. Rien d'autre, nada. Elle ne semblait ni triste, ni gênée de sa question. J'en concluais qu'elle souhaitait simplement comprendre, savoir.
D'une voix qui se voulait calme et posée, mais que je ne parvenais pas à contrôler et qui de ce fait était plutôt rude, je lui répondais sans réfléchir réellement à la question.

- Je ne connais pas les loups que tu fréquentes. Mais pour ma part j'agis de la sorte parce que c'est comme ça que je suis. Tu ne devrais pas le prendre pour toi personnellement.

J'hésitais à continuer, et j'avais davantage la sensation de l'agresser, que de la réconforter.

- Sans te mentir, je ne te trouve pas inintéressante. Seulement bornée et agaçante.

Et je reprenais la marche que j'avais interrompu pour lui répondre en la regardant dans les yeux.

Je la regardais un instant après ses dernières paroles. Ainsi, mes doutes étaient fondés, et comme moi elle donnait aux autres l'image qu'elle souhaitait. je savais par expérience qu'un tel comportement demandait une force d'esprit hors du commun. Ne pas se mélanger, ne pas craquer, ne pas se montrer. Jamais.
Et je savais par dessus tout, que je n'aimerais pas, après une telle confidence, qu'on me questionne inutilement.
Alors, silencieusement je détournais le regard après lui avoir offert un de mes sourires en coin. Et en silence, je continuais notre route, ralentissant pour qu'elle me rattrape et reste devant, de façon à ne pas offusquer son esprit contradictoire.
Après quelques secondes de marche, je constatais qu'elle regardait ses pattes et je supposais qu'elle n'osait simplement pas relever la tête, de peur que j'entame la discussion qui lui serait désagréable. Toujours avec mon sourire discret, sans le moindre contact physique avec elle, je la regardais avant de la rassurer.

- Je comprends.

Simplement. Calmement. Je savais d'avance qu'elle comprendrait après cela, que je ne comptais pas lui en demander plus. J'étais du genre à attendre qu'on vienne à moi. Jamais je n'avas courru après les informations, et toujours elles étaient arrivées lorsque leur possesseur s'en sentait prêt. J'étais sauvage et puissant, un grand cmbattant. Mais si j'avais une qualité, c'était de loin la patience.

- Et toi ? Tu étais où avant de débarquer sur les terres Saphirs… Ou sur Wolf Temporal ? D'où viens-tu, en fait ?

La question ne m'étonna pas. Cependant je ne comptais pas y répondre. Je n'aimais particulièrement pas qu'on s'informe sur ma personne, et lorsqu'un autre loup tentait de le faire, je me contentais de rester silencieux pour lui faire comprendre que ce n'était pas une chose à faire en ma compagnie.
Alors qu'une neige légère et douce se mit à tomber, Trybal leva le museau en l'air et reçu un flocon sur le bout de sa truffe. Elle s'ébroua énergiquement avant d'éternuer sans retenue.
Amusé par la scène, je continuais de sourire en la regardant et restais silencieux. J'aimais l'hiver pour la température qui chutait, pour la neige qui crissait sous les pas des étrangers, et pour le camouflage qui se refusait aux loups. Certes, j'étais de loin le plus voyant dans cet univers blanc, mais avec ma vue perçante et mon expérience de la traque à l'ennemi, je les repérais souvent bien avant qu'ils ne voient mon pelage flamboyant. Et le froid mordant qui en déstabilisait plus d'un, était sans le moindre effet sur moi grâce à ma fourrure des plus épaisses.
Fixant le ciel grisâtre, je devinais que les chutes de neige ne faisaient que commencer, et que bientôt les ennemis se feraient bien moins hardis pour pénétrer mes terres.
La période hivernale m'était la plus facile dans ma tâche de Protecteur, et je l'aimais parce qu'elle me permettait de rester seul le plus clair de mon temps, ce que j'aimais plus que tout.

Je lisais sans peine la déception dans son attitude soudain distante, mais je ne pouvais rien y faire. J'étais ainsi, et je n'étais pas le genre de loup qui changeait de caractère comme de fourrure.
Les minutes s'écoulèrent dans le silence et la neige délicate se changea en tombée rude et glaciale. Trybal semblait avoir du mal à résister au froid, mais malgré son entêtement elle finit par me demander si je connaissais un abris non loin. Malheureusement, l'abri le plus proche était à plusieurs kilomètres de nous, et je doutais qu'elle tienne le coup jusque là.

- Je ne voudrais pas te contredire, mais si nous avions pris la route que j'avais choisis au début, nous serions à l'abri en ce moment même. Hors tu as choisis de partir à l'opposé, et donc de nous éloigner considérablement des moindres cachettes.

Laissant un long moment ma phrase en suspens, je regrettais d'avance ce que je m'apprêtais à faire. Mais même si elle n'était pas de ma meute, je ne pouvais la laisser mourir ici sans rien faire.
Je soupirais pour me donner la force de me battre contre mon plus fort instinct et je m'approchais d'elle d'une manière décidée.

- Je ne vois qu'une seule solution pour que tu t'en sorte.

Farouche comme elle l'était, je m'attendais à une réaction brutale de sa part. Mais visiblement, le froid ambiant l'avait déjà considérablement affaiblie. Je m'approchais donc plus encore et me collais à elle. Sous mon poids elle s'affaissa pour finir allongée dans la neige fraîche. Sans un mot je me plaçais au dessus d'elle pour lui prodiguer une protection de chaleur corporelle contre la température déclinante. Je poussais un léger grognement, plus de gêne que tout autre sentiment, et posais ma tête sur la sienne.
Nous étions dans une position particulière qui ne m'était pas des plus habituelles et que je n'aurais jamais pensé adopté avec une louve étrangère à ma meute.
Alors que notre principal objectif était de trouver les membres de ma famille, je me prenais à espérer qu'aucun Saphir ne rappliquerait. Si un loup de ma meute nous trouvais ainsi, il se poserait des questions et je serais sans aucun doute soupçonné, voire même accusé, de trahison.

Un long moment passa, durant lequel elle se tint tranquille. Je le sentais même se détendre, ses muscles se décontractant sous ma carapace de chaleur. Mais la louve n'était pas le symbole de la patience, et bien vite elle souhaita reprendre sa liberté. Cependant, même si je ne le reconnaissais pas, la situation avait commencé à me plaire lorsque j'avais compris qu'elle se sentait bien. Alors malgré ses agitations, je restais inerte et me mis à lâcher de légers ronflements, faisans semblant de m'être endormi.
Je ne savais pas si elle tomberait dans le panneau, mais qui ne tente rien n'a rien! Alors j'attendais sagement de voir comment se passerait la suite.
Les flocons continuaient à tomber, et sous mon pelage de feu se cachait la louve dont on ne voyait plus la moindre touffe de fourrure.
Je me disais à cet instant, que si un Saphir apparaissait, je n'aurais qu'à lui cacher la présence de la louve et il n'en devinerait rien. J'aurais cependant besoin de bloquer sa tête sous la mienne pour qu'elle ne se plaigne pas au risque de nous faire démasquer.
Dans le silence de la nuit qui tombait, je profitais, je devais bien l'avouer, de la situation. Non pas que j'étais capable d'éprouver des sentiments pour une quelconque louve, je savais que cela m'était impossible puisque j'avais tué ma propre famille. Mais la situation m'amusais fortement, et étant donné que Trybal avait mené le jeu depuis le matin, j'estimais que c'était à mon tour de me jouer d'elle. Sauf que contrairement à elle au début, je ne le faisais pas avec de mauvaises intention, bien au contraire. J'avais simplement envie de la taquiner un moment.

Perdant patience, Trybal cria mon nom dans l'espoir de me "réveiller". Et alors qu'elle prononçait le mot qui me définissait, sa traduction me vint naturellement à l'esprit et me déstabilisa un instant. Masquant mon trouble, je me levais d'un bond et m'éloignais de plusieurs mètres, sans pour autant quitter la louve. J'attendis qu'elle se relève et s'ébroue puis je commençais à repartir bon train. Mais qu'est-ce qui m'avait pris? Comment avais-je pu prendre plaisir à ce "jeu"? Comment avais-je pu oser m'amuser avec une étrangère alors qu'elle se trouvait sur les terres de ma meute et que par conséquent, mon rôle devait être de la chasser pour protéger mes Alpha?
Même si je n'avais pas de dominant, c'était une trahison que de laisser une inconnue pénétrer nos terres impunément, et c'était pire de me permettre un tel manquement à mon rang.
Je m'ébrouais moi aussi après m'être de nouveau arrêté, et je la fixais droit dans les yeux, froid et distant, en attendant qu'elle se décide à me rejoindre pour repartir à la recherche de ma famille.
Elle n'allait probablement pas comprendre mon brusque changement de comportement. Et vu son caractère, j'allais sûrement me prendre une rouste. Mais si tel était le cas je passerais à l'attaque, et abrégerai notre"rencontre" pour la faire déguerpir définitivement de nos terres.
Silencieux comme une tombe, mes yeux de métal toujours plongés dans les siens, je faisais le serment de ne jamais plus manquer à mon devoir. Et de garder en mémoire, à chaque seconde de ma vie, le carnage que j'avais commis.
Cela ne devait pas se reproduire, et pour protéger les autres de mes pulsions meurtrières, je devais à tout prix garder le contrôle sur mon esprit et sur mon corps, en toutes circonstances.

Trybal se releva en trombe. Elle semblait plus en colère que ce que je pensais. Je m'attendais bien à cette réaction, qui plus est légitime. Mais je devais avouer, qu'intérieurement j'avais espéré autre chose. Mais que croyais-je? Qu'elle allait s'approcher comme une fleur, en me disant qu'elle comprenait ma réaction et qu'elle savait que c'était dur pour moi? Il ne faut pas rêver. Nous n'étions ni amis, ni proches, ni mêmes des connaissances l'un pour l'autre. Je ne lui en voulais pas le moins du monde, mais je me détestais d'avoir à ce point failli à mes responsabilités. Qu'est-ce qui m'avait prit de la laisser libre sur mes terres, de l'accompagner et de m'amuser avec elle?
Gardant le silence alors qu'elle criait ses pensées, je m'imaginais le bain de sang que j'aurai pu commettre si elle avait fait un faux pas involontairement. En temps normal, je détestas n'importe quel autre loup. Mais elle, et son caractère, me semblaient tellement proche de moi, que je m'étais laissé aller à un sentiment que je n'aurais jamais du ressentir pour une louve étrangère à ma meute. Regrettant amèrement la situation, je fermais mon esprit pour réfléchir plus sereinement à la situation.
Elle partait dans l'autre sens, clamant qu'elle n'avait nullement besoin de moi. Mais ce qu'elle semblait oublier, c'était que je ne lui avais pas laissé le choix. Même si elle pouvait me semer aisément, je lui avait imposé ma présence. Même si, finalement, elle l'avait accepté.
Je souhaitais tant, à cet instant, lui expliquer... Mais que pouvais-je lui dire? Comment pourrait-elle imaginer qu'un loup, aussi cruel soit-il, puisse assassiner sa propre mère et toute une portée de louveteaux du printemps? Non. Aucun loup équilibré pouvait ne serait-ce que penser à pareil carnage.
Restant silencieux et ignorant sa dernière tirade, je marchais dans ses traces et me laissais aller à mes pensées.
J'aurais tant aimé rencontrer un jour une louve qui saurait pardonner mes gestes.
J'aurais tant aimé connaître celle qui m'avait été destinée.
J'aurais tant aimé, ne pas être celui que j'étais...
Inconsciemment, je la rattrapais et ralentissais en arrivant à sa hauteur. Ma tête baissée, mes yeux perdus dans la neige à nos pattes, je ne faisais pas attention aux chemins que nous empruntions. Je la suivais machinalement, simplement.
Les minutes s'écoulèrent, et je réalisais que malgré sa capacité, elle était restée à bonne allure et me laissais la suivre. Sans relever la tête, je lui lançais un regard désolé qu'elle ne vit probablement pas, et pensais mes excuses aussi fort que possible, comme si elle avait eu la possibilité de les entendre.

Un instant, je la vis s'arrêter. Je faisais la même chose sans la regarder, attendant qu'elle reparte. Mais elle me lança une question à laquelle je ne m'attendais pas.

- Pourquoi m'as-tu aidée ? Je veux dire... Tu sembles peu enclin à ce genre de geste. Plutôt solitaire et... Antipathique ? Ne le prends pas mal, hein ? Je cherche... Simplement à te comprendre. C'est tout.

D'abord surpris par sa réaction, je me sentais cependant plus proche d'elle encore, que par le début. J'hésitais quand à la posture que je devais adopter. J'avais le choix entre lui dire la vérité et attendre de voir comment elle le prendrait, ou alors laisser mon mauvais côté prendre le dessus et risquer sa vie.
Tout d'abord, elle n'était pas de ma meute. Je ne pouvais donc pas lui faire confiance, d'autant plus que je ne faisais confiance à personne.
Ensuite, c'était une traqueuse, présente sur mes terres pour y glaner la moindre information.
En y réfléchissant, tout laissait à croire que je devais la mettre hors d'état...
Je gardais ma tête baissée un moment sous les regards incessants de la louve. Je fermais les yeux, me concentrant sur mes pensées les plus obscures.
Lentement, je sentis un flux de méchanceté monter en moi. Doucement, la haine prenait le contrôle de mon corps. Ma respiration s'accéléra rapidement et le souffle de mon haleine dans le froid de l'hiver se fit plus condensé. Les yeux toujours clos, j'ignorais quelle était la réaction de Trybal. Mais je sentais toujours sa présence près de moi, ce qui me laissais supposer qu'elle ne comptait pas fuir. Un rictus sadique se dessina sur mes babines alors que je n'ouvrais toujours pas les yeux.

- Grosse erreur, ma belle. Tu ne sais pas de quoi je suis capable.

Les secondes s'écoulèrent aussi lentement que les flocons tombaient. En à peine plus d'une minute, je me sentais habité par un être maléfique, comme si mon corps n'obéissait plus à mon cerveau, mais à autre chose qui confinait mon être au plus profond de moi, l'empêchant avec violence, de s'évacuer. Je voyais l'environnement d'une toute nouvelle façon. De la même manière, en réalité, que le jour où j'avais sauvagement abattu ma famille.
Je me sentais en pleine forme, puissant et sans limites. Physiquement, j'étais apte à étaler le monde sous mes pattes. Mais je sentais dans ma tête, un combat sans pitié. Comme cela m'était déjà arrivé, le mauvais loup en moi prenait le contrôle, pendant que le bon cherchait à le faire fuir. Mais le véritable Tourmenteur avait gagné la première fois, alors qu'il se trouvait face à sa propre meute.
Aujourd'hui, c'était une étrangère qui se trouvait devant moi, et je doutais de pouvoir retenir mes crocs encore longtemps. Je sentis l'écume glisser sur mes babines, pendant que je la fixais sans perdre mon rictus nerveux. Je sentis mon corps se redresser dangereusement, sans quitter la louve des yeux. Mais qu'allais-je lui faire? Je me voyais enfoncer ma griffe dans son épaule, pour ensuite la faire glisser vers le bas et entailler lentement sa chair tendre. Non! Arrêtes ça! M'ébrouant mentalement, je chassais cette image de ma tête.
L'instant d'après, j'imaginais avec délice son sang coulant déléctablement entre mes crocs, et affluant lentement dans ma gorge. Je grondais intérieurement et chassais de nouveau les impressions morbides qui s'insinuait dans chaque pore de ma peau.
Je faisais quelques pas dans la direction de Trybal, et tendais mes crocs vers sa nuque. Alors qu'elle ne bougeait pas d'un poil, je faisais claquer mes mâchoires près de sa jugulaire, sentant d'avance son pouls ralentir, et les tressautements de ses muscles lorsqu'elle paniquerait sous la puissance de mes crocs. Ma vois retentit, aussi glaçante que l'air du plus rude des hivers.

- Je vais te déchiqueter lentement, et regarder la plus infime parcelle de ton être, frémir sous mes pattes.

S'ensuivit un rire nerveux que je ne parvenais pas à contrôler, et qui me faisais autant de bien qu'il déchirait amplement mon coeur. Qu'allais-je faire subir à cette pauvre Trybal? Je regrettais tant de ne pas avoir su trouver les mots plus tôt. De ne pas être parvenu à remballer ma fierté pour lui montrer le moindre intérêt. Je regrettais tant, d'être le loup que j'étais...

Je sentis ses griffes déchirer la surface de ma peau, sur ma truffe. Même si la blessure était minime, la douleur n'en n'était pas moins présente. Je baissais la tête sous le coup et la gardais pendante un court instant. Puis, lentement je la relevais, plongeant mon regard fou dans le sien, apeuré. Elle avait bondit immédiatement après l'attaque, ce qui lui permettait de fuir loin et de sauver sa peau. Mais étrangement, elle avait choisi de se retourner pour me voir à nouveau, ce qui lui faisait perdre sa seule chance de survie.
Je désespérais mentalement de ne pas parvenir à me contrôler. Et je la maudissais de ne pas avoir fuit alors qu'elle en avait eu l'occasion. Le loup obscur que j'étais intérieurement avait définitivement refais surface, et j'allais mener un combat sanglant contre moi-même pour l'emprisonner à nouveau en moi.
La fixant toujours, je grondais de plaisir en m'approchant d'elle dangereusement. De ma gorge émanait un son qui m'aurait fait frémir si il ne venait pas de moi.

- Serais-tu aussi folle que belle?

Et mon sourire n'étant pas décidé à disparaître, je la fixais intensément avant de m'arrêter à quelques centimètres d'elle. Je tentais de reculer, mais mon corps se refusait à bouger ne serait-ce que d'un poil. Elle devait me prendre pour un fou, immobile devant elle, sans la moindre trace de vie hormis ma respiration saccadée et, je devais l'avouer, carrément flippante...
Si seulement elle pouvait voir ce qui se passait en moi. Si seulement j'arrivais à contrôler quelques mots pour lui expliquer. Mais je ne parvenais à rien, et j'avais l'impression que je n'avais pas la moindre chance contre... Moi-même. J'avais très envie de lui donner un puissant coup de patte, la regarder rouler dans la poussière pour ensuite l'étouffer lentement sous mes griffes. J'avais également l'idée de la déchirer là où les veines étaient les plus nombreuses, pour la voir se vider de son sang et agoniser devant moi. Mais autant que je désirais la tuer et la faire souffrir, je mourrais d'envie qu'elle se sauve, que je ne la revoit plus jusqu'à ce que j'ai pu reprendre le dessus. Et alors, je la chercherais jusqu'au bout du monde pour lui expliquer et lui demander pardon.
A cette pensée, je devinais que je venais de mettre en colère mon mauvais côté. Sans me laisser le temps de réfléchir, j'envoyais un puissant coup de patte à Trybal, la faisant rouler dans la poussière. En agissant de la sorte, mon corps me faisait comprendre deux choses. La première: Trybal allait souffrir de notre rencontre, et si j'osais espérer la maintenir en vie, je la tuerais sans pitié. La deuxième: En continuant de penser à elle et à sa survie, je réussirais à me faire battre en retraite et à ravaler ma haine. Mais Dans les deux cas, la jeune traqueuse ne s'en remettrait que difficilement. Hors je refusais de la faire souffrir, même contre mon gré. Il me fallait trouver un moyen de la sauver sans lui faire subir la violence de mes coups. Comme pour m'attaquer moi-même, je la rejoignais d'un bond et lui lançais un coup de crocs, jubilant en sentant le goût de son sang entre mes dents.

- J'aime te voir aussi faible, aussi accessible.

Mes mimiques, que je ne pouvais qu'imaginer, me faisais froid dans le dos. Et si j'avais eu pleine possession de mon corps, j'aurais probablement senti mes poils s'hérisser sur ma nuque. Mais ce n'était pas le cas. Je ne pouvais sentir ni le vent ébouriffer mon pelage, ni le froid contre ma peau. Je m'étais moi-même réduis à un simple état d'observateur dans un corps dévastateur. Et si je ne parvenais pas rapidement à trouver une solution, Trybal en paierait le prix fort. En réponse à ma nouvelle pensée pour elle, ma mâchoire partir une seconde fois pour entailler profondément le muscle de son épaule. J'entendis son jappement, impuissant face à ce que je lui infligeais. Cette fois c'en était trop, il fallait que ça cesse. Il fallait que je me laisse totalement contrôler pour mieux combattre. Mais qu'allais-je lui faire, si je ne résistais plus à mes pulsions? Combien de temps aurait-elle avant que je ne lui porte le coup fatal? Cette fois, ma patte se posa contre la profonde blessure que je venais de lui donner, et la pression que j'exerçais commença lentement son oeuvre destructrice. J'avais mal. je sentais mon coeur se déchirer sous ses extériorisations de douleurs. Je me maudissais d'être moi, et je maudissais mon père de ne pas m'avoir tué quand il en avait eu l'occasion. Un sourire narquois se figea sur mes babines et je la fixais dans les yeux, pendant que je lui infligeais les pires souffrances.

- Te crois-tu toujours si inintéressante? N'es-tu pas satisfaite qu'un loup s'occupe enfin de toi?

Je priai son pardon, et je la suppliais intérieurement de déguerpir à la moindre possibilité. Mais elle était bornée, et je l'avais compris à la seconde où j'avais croisé son regard. Je doutais qu'elle s'en aille, ce qui me rendais plus en colère encore contre moi-même.

Je la voyais agoniser. Et cela me détruisais de l'intérieur. Mais je ne voulais pas lui faire de mal. Pourtant, c'était à cet instant la seule solution qui se présentait à moi, pour que j'arrive à trouver ma faiblesse. Je détestais ces moments-là, lorsque je me laissais berner par ma rage. Le combat était toujours long et impitoyable, et je n'en ressortais jamais indemne. Je me souvenais à cet instant, que mes adversaires lors de ces "crises" n'avaient jamais eu la chance de pouvoir se vanter de notre combat. Et je fut prit de panique en ce qui concernait le sort de Trybal. Je ne voulais surtout pas qu'elle ait à en souffrir. Pourquoi diable avais-je fais cela? Pourquoi, encore, avais-je laissé ma fureur prendre le dessus?
Reprenant le contrôle de mes pensées, c'était tout ce que je pouvais faire, je regardais Trybal qui se relevait et tentait de s'éloigner.

- Sage décision.

Jamais je n'avais à ce point détesté ma voix. D'habitude si calme, déterminée et sereine, elle était en ce moment-même, grave et laissait paraître la folie meurtrière qui contrôlait mon être.
Mais trêve d'observation. La jeune louve revenait vers moi, comme si elle souhaitait en finir avec la vie.

- Tu es trop bornée, ma belle.

Alors qu'elle ne se trouvait plus qu'à quelques mètres de moi, elle tenta une riposte orale, mais je voyais bien qu'elle ne tiendrait pas aussi longtemps que ce qu'elle semblait vouloir me faire croire. D'un puissant bond en avant, je la rejoignais et lui flanquais un coup de crocs dans la gorge. Gardant ma prise sur sa chair, je la tirais à moi et tournais la tête du même coup, la propulsant dans les air. Elle attérit violemment contre un arbre nu et glissa jusqu'à son pied.

- J'aime me lâcher de la sorte, de temps en temps. Si tu savais comme c'est dur, de garder une apparence devant tous, en faisant attention à ses moindres faits et gestes pour que personne ne nous soupçonne... Mais tu connais ça toi, les apparences, n'est-ce pas? Après tout, ne joue-tu pas un rôle, toi aussi?

Regrettant amèrement mes paroles que je ne pensais pas le moins du monde, je continuais d'observer, cherchant toujours le moment propice où mon propre point faible serait dévoilé. Autant que j'admirais Trybal pour son courage, je la blâmais de ne pas avoir fuis dès les premiers signes de folie. Pourquoi une telle quantité de bravoure devait-elle se rassembler en cette louve, spécialement lorsqu'elle me rencontrait moi?
Alors que mes espoirs étaient descendus au minimum vital, je remarquais que mes dernières idées avait perturbé mon corps. J'étais en train de me dire qu'une louve comme elle était tout à fait mon genre, lorsque je repérais enfin une fissure dans le mur d'acier qui séparait mon mental en deux. De toute la force de ma pensée, je me propulsais contre la mince ouverture et me percutait violemment au puissant obstacle.
A ce moment-là, je réussi à prendre le contrôle de mes pattes et reculais le plus possible de Trybal. Mais mon corps rejeta ma riposte et avança de nouveau. Cependant, je savais que la dernière bataille commençait tout juste à ce jouer.
Toujours, lorsque je me laissais envahir par ma rage, je finissais par trouver cette fissure, toujours la même, et après un laborieux travail de concentration, je finissais pas reprendre le dessus. Mais aujourd'hui, le combat s'annonçait être le plus difficile de toute mon existence. Parce que c'était la première fois de ma vie, que je combattais mon mauvais côté avant qu'il n'ai commis des meurtres. D'habitude, le carnage était déjà terminé lorsque je trouvais la faille, ce qui me facilitait le travail puisque mon corps s'en trouvait affaibli physiquement. Hors, le Tourmenteur ne pouvait pas aller mieux qu'en cet instant, ce qui le rendait bien plus puissant que toutes les autres fois réunies.
J'allais devoir faire preuve d'un grand courage et d'une détermination sans précédent pour reprendre le contrôle sur moi-même. Regardant Trybal, je ressentais alors deux sentiments complètement contradictoires. L'un était la soif de sang, extrêmement présent et puissant. L'autre, que je serais incapable de nommer, était cependant plus ancré en moi que le premier, ce qui me donna la force de me jeter une nouvelle fois sur l'ouverture de mon côté obscur. J'entendis un craquement, mais je ne parvins pas à savoir s'il s'agissait du mur ou de moi-même, ce qui, en quelque sorte, était stupide puisque dans n'importe quel cas il s'agissait de moi...
Mon sang était en ébullition. Mes muscles, plus tendus que la corde d'un arc humain. Je ne cessais d'avancer vers la louve et de reculer, ce qui, de l'extérieur, devait sembler bien étrange. Mais il m'était inconcevable d'imaginer laisser le moindre bout de terrain, maintenant que j'étais si proche de lui sauver la vie. Appelant à moi toutes les forces de la nature, je me projetais désespérément, une ultime fois, contre la barricade noire de mon mental. Mon esprit affalé, se laissa alors aller, vidé de toute énergie. Une sorte de bruissement de feuille se fit entendre, et je voyais enfin le mur s'effondrer dans ma tête. Alors que je reprenais peu à peu conscience de mon corps, je m'étalais douloureusement dans la poudreuse, haletant difficilement pour reprendre quelques forces.
Je laissais la pensée de Trybal dans un recoin de ma tête, et restait immobile de longues minutes, cherchant à calmer non seulement mon corps, mais aussi mon coeur. Il s'en était fallu de peu cette fois, mais j'avais gagné une grande victoire contre moi-même, ce qui ne me rendait pas peu fier. A bout de forces, je relevais la tête et cherchais Trybal de mon regard d'acier. Je la trouvais à plusieurs mètres, et fut agréablement surpris de constater que j'avais réussi à m'en éloigner considérablement, ce qui lui avait sans aucun doute épargné de nouvelles blessures.
En rampant lamentablement, je m'approchais d'elle, couchée contre l'arbre, haletante tout comme moi. Je lisais la terreur dans ses yeux, levais une patte vers elle et la reposais immédiatement au sol en constatant qu'elle avait peur de ce que j'allais lui faire.
Dans un dernier effort, je m'approchais encore et posais ma tête sur la sienne, chuchotant mes derniers mots avant de fermer les yeux, épuisé.

- Je suis tellement désolé...

Je me doutais qu'elle ne me pardonnerait pas ce que je lui avais fait subir. Mais si par miracle, elle me donnait la chance de pouvoir m'expliquer, alors sans aucun doute elle saurait bientôt toute la vérité, sur Daeron le Tourmenteur...

Après un moment, elle retira sa tête de sous la mienne. En me redressant malgré ma faiblesse, je la dévisageais alors de la tête à la queue, constatant l'étendue des dégâts que je lui avais infligés.
Affligé? Attristé? Répugné? Tellement d'adjectifs de dégoûts qui emplissait mon coeur en cet instant, alors que je prenais conscience de son abdomen enfoncé, de l'os de son épaule mis à nu, probablement brisé. Comment avais-je pu faire preuve d'une si grande violence? En me blâmant ainsi, les images de ma famille me revinrent par bribes douloureuses et silencieuses, mettant à vif les blessures de mon passé sanglant. Passé... C'était un bien grand mot. Visiblement, ce n'était pas seulement mon passé, mais aussi mon présent, et sans aucun doute mon futur. J'étais condamné à traîner mes chaînes pour toujours et je réalisais devant ce carnage, que ma vie entière serait un combat contre ma propre personne.
Regardant une dernière fois l'ampleur de mes dégâts sur le corps de Trybal, j'enrageais intérieurement de ne pas pouvoir mettre fin à mes jours moi-même. Peut-être devrais-je simplement provoquer un loup plus fort que moi, pour qu'il m'abatte? Mais dans ce cas, qui protégerais ma meute et ses Alpha? Non, un suicide m'était impossible pour le moment. La seule solution qui se présentait à moi, était de trouver un loup qui serait capable de m'apprendre à contrôler ma "double personnalité". Mais quel loup, sur ces terres, pourrait être en mesure de m'aider? Y-avait-il seulement un loup, sur Terre, qui pourrait être susceptible de m'apporter un quelconque soutien?
Je décidais de laisser la question en suspens pour le moment, et de me concentrer sur les faits actuels. Je devais absolument trouver un moyen de sauver Trybal. Après ce que j'avais enduré pour ne pas la tuer, il était hors de question pour moi de la laisser mourir maintenant. Et puis, malgré moi, j'avais quelques absurdes idées la concernant, qui flottaient dans mon esprit. Alors, puisque je ne trouvais aucun moyen de la sortir de là par ma propre force, je prenais l'initiative d'un appel désespéré à mes semblables, à ma famille.
Un long hurlement plaintif s'échappa puissamment de ma gorge, recherchant la moindre oreille Saphir à des kilomètres à la ronde. N'importe quel Saphir, mais je vous en prie, venez à notre aide...
Puis je posais de nouveau ma tête sur le corps à peine chaud de Trybal, et je fermais les yeux.