Le souffle du vent ébouriffait le poil fauve de la jeune Emeraude, s’infiltrant probablement jusqu’au plus profond de son fragile être. Il faisait un froid de canard en cette après midi hivernale, raison pour laquelle Birdy se devait d’agir au plus vite si elle voulait que la louve reste en vie. Malgré son premier jugement, elle semblait ne pas avoir trop perdu de sang mais au vu des nombreuses traces de morsures, la situation lui imposait une nouvelle fois d’agir. Pourtant, elle restait là. A regarder simplement, ses neurones s’activant dans sa boite crânienne. Cette scène avait quelque chose de louche. Daeron semblait épuisé mais ne semblait avoir aucune blessure. Et quand à son idée de départ comme quoi ils s’étaient fait attaquer, elle ne tenait pas la route. Aucun élément ne pouvait laisser penser ça, a vrai dire. Il n’y avait que l’odeur des deux canidés de fraiche, le reste datait certainement des anciennes patrouilles. Seul deux sortes de traces de pattes étaient visibles dans la neige : l’une était celle de Daeron, l’autre de l’Emeraude.
Finalement, ce fut la blessée qui la tira de sa torpeur. Et elle ne comptait pas éclaircir le mystère… Dégageant la tête du mâle, elle se releva, démontrant une force que Birdy n’aurait pas crue possible. Bien qu’elle tienne à peine sur ses pattes, elle avança vers la Saphir. Chancelante et virant son regard déterminé –bien qu’assombrit par la douleur, dans ceux emplit de questions de Birdy. Alors que cette dernière, se décidant enfin à bouger pour l’aider à se déplacer, s’approcha, la frêle louve ordonna presque :

« Oublie-moi. Va t'en ! Je suis tout à fait à mê... »

Et là, en fin de compte, la réponse à sa question lui tomba sous le museau. Pourquoi donc une louve d’un clan ennemi se trouvait-elle mourante ?! Eh bah Daeron avait fait son boulot tient ! Une seule question subsistait à présent, pourquoi donc appeler de l’aide ? Elle regarda la femelle s’écrouler sans bouger d’un poil. Mais alors qu’elle allait demander à Daeron pourquoi il n’était pas foutu de l’achever alors qu’elle souffrait, il prit la parole. Interrompue une fois de plus, elle l’écouta…
Sans doute était-ce vrai qu’il y était allé un peu fort. Même si la femelle- qui ne constituerait jamais un danger pour la meute, sérieusement, vu son physique- avait enfreint le code le plus élémentaire qui soit, ce n’était pas une raison pour presque la tuer. Voilà donc pourquoi il était désolé…
Plongeant encore une fois ses yeux vairons dans ceux du mâle, elle acquiesça. Elle se dirigea près de la branche que Daeron avait disposée au sol et l’aida à mettre l’Emeraude dessus. Prochaine destination, l’antre du druide Saphir. Ou bien un quelconque endroit où elle pourrait être au chaud en attendant que l’on trouve un druide.

Birdy garda un instant son regard fixé sur la jeune Emeraude. Malgré qu’elle se soit faite à l’idée que Deron avait voulu la tuer et que se serait sans doute mieux pour elle qu’on l’achève. La louve grise se posait encore pas mal de questions. Par exemple… Pourquoi avoir renoncé à la tuer au dernier moment ? Ce n’est pas si compliqué : si on veut tuer on tue, si on ne veut pas on reste tranquille. Lui avait décidé de passer à l’attaque. Pourtant, quelque chose l’avait interrompu. Sa conscience ? Dans tout les cas, la voilà à trainer la louve fauve sur une branche en direction du camp des Saphirs. Et son état était des plus pitoyables. Son épaule semblait arrangée et le reste de son corps ne valait pas mieux. Malgré son inconscience, Birdy distinguait facilement qu’elle était encore en vie. Sa cage thoracique se soulevait régulièrement, lentement. La louve espérait qu’elle tienne le coup. Ce serait malin qu’elle ne meure avant d’avoir trouvé un druide !
Détachant ses yeux vairons du corps meurtri de l’Emeraude, Birdy regarda son partenaire. Daeron semblait mal. Aussi bien psychologiquement que physiquement. Ses yeux gris restaient eux aussi fixé sur le corps de la petite louve. Et à voir son expression, il devait s’en vouloir de l’avoir mise dans cet état. Question physique, Birdy avait remarqué qu’il tremblait légèrement. Quand on est comme ça, c’est qu’on est épuisé, pas besoin d’avoir un diplôme en médecine pour le deviner. Birdy enfonça plus profondément ses crocs dans le bois, elle devrait peut-être à un moment ou à un autre continuer de trainer la blessée toute seule. Mais malgré tout, Daeron dit d’une voix déterminée, prouvant qu’il souhaitait ardemment que la louve reste en vie.


Encore une fois, Birdy acquiesça. Seul hic : où se trouvait sa tanière ? La Protectrice, questionna Daeron d’un regard. Il comptait certainement qu’elle le suive sans parler. Rester silencieuse. Voilà une chose qui n’était pas dans sa nature ! Il n’empêche qu’elle la boucla. Elle devra le suivre come le fait un gentil toutou obéissant. Finalement, aussi fier et autoritaire soit Daeron – ce qui dans d’autres conditions lui aurait tapé sur le système à un point inimaginable, il n’oubliait pas la politesse. Il l’a remercia comme il le pouvait avec sa branche dans la gueule. Birdy sourit simplement puis fixa droit devant elle. Même si elle ne savait pas où aller…

« Au fait, pourquoi tu ne l’as pas achevée ? »

Son vœu de silence était brisé. Mais fallait pas se faire trop d’illusions non plus…

Qui est-elle donc cette louve qui fixe le mâle d’un air enfantin ? Celle qui vient de poser une question dont elle ne voulait pas la réponse ? Birdy. Un nom qui cache un personnage. Personnage meurtrit par son passé, son lourd passé qu’elle peine à porter. Elle tente de l’oublier oh que oui, mais il refait surface à chaque fois qu’elle rencontre quelqu’un. A chaque fois qu’elle croise son reflet, le regard de n’importe quel loup. En ce moment, dans son regard que la douleur ne veut pas quitter, quelque chose est visible pour un œil avisé. C’est l’espoir. L’espérance qui n’a jamais quitté son être. Espoir en quoi ? Birdy à vécu toutes les saloperies qu’il était possible de vivre. De l’humiliation, passant par la douleur et la haine, rien que des points négatifs. Et pourtant… Au fond, elle est toujours restée la gosse qui se demande ce qui lui arrive. Qui croit que c’est un cauchemar, que la réalité se trouve ailleurs. Parce que le monde est peuplé de bisounours, parce que au fond, on est tous les même. On est tous des gens bien. Mais certains le cache. Oui c’est ça, ils ne veulent pas montrer leur personnalité tendre et généreuse par ce qu’ils ont peur. Peur des Démons qui habitent cette Terre. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que ces Démons existent uniquement parce qu’eux aussi ont peur. La peur nous fait perdre les pédales et on devient agressif. Alors on devient le Démon d’un autre. Birdy, son démon c’était son père. Loup tyrannique et violant. Etre peureux lui aussi ? La louve grise l’espérait. Parce qu’elle constatait en le voyant câliner sa mère qu’il pouvait être bon. Il pouvait… C’est ça, son espoir. Qu’elle trouve enfin quelqu’un qui n’a plus peur. Son monde tout gentil, son monde à elle…
Mais en attendant, elle joue les durs. Elle hésite à se montrer telle qu’elle est. Naïve et innocente. La mort de ses parents qu’elle a sur la conscience la bloque. Par conséquent, elle devient railleuse et parfois mauvaise. Il lui arrive d’être cynique aussi. Mais soit, en cet instant, ses yeux vairons restent fixés sur Daeron. Daeron qui lui raconte pourquoi elle est en train de trainer une louve Emeraude a moitié morte sur une branche en direction de la tanière d’un loup qu’elle connait à peine. Le loup roux semblait perdu, déboussolé et gêné. Il était faible aussi. Birdy lui sourit, et voulut le rassurer pour ôter cet air inquiet de son visage. Elle articula difficilement avec la branche entre ses crocs.

« C’est tout, ça va aller Daeron. Elle va s’en sortir, on va la sauver. Tu verras. »

Le mâle venait de lui confirmer que sa vision des choses était juste. Daeron était un être bon, oui, il était gentil. Elle en était sûre. Mais c’est sa part négative qui avait repris le dessus, c’était pour ça qu’il avait attaqué l’Emeraude. Puis, comme ça, elle lâcha la branche deux secondes. Le temps de lui faire une léchouille sur la joue et un clin d’œil. Elle reprit ensuite la branche sur laquelle la blessée était posée. Birdy reprit sa marche, régulière et pas trop rapide, pour que Daeron tienne le coup. Ils avançaient depuis quelques dizaines de minutes déjà. La neige continuait de tomber, déposant ses flocons froid sur les trois lupins. Un risque maintenant que la blessée fasse une hypothermie… Mais la protectrice ne préférait pas y penser. Pour encore tenter de rassurer Daeron, elle prit un air déterminé et avança un peu plus rapidement. Elle priait pour que le loup roux tienne le coup. Qu’il ne l’abandonne pas. Regardant les pins défiler, la neige blanche se tâcher de leur pas, ils avançaient encore.
Finalement, ils arrivèrent devant un gros arbre. L’enchevêtrement de ses larges racines laissait percevoir un trou. Trou assez large pour qu’au moins deux loups puissent y rentrer en même temps. Elle questionna Daeron d’un regard : est-ce ta tanière ?

Birdy regarda le mâle roux s’engouffrer dans la tanière d’un air absent. Elle avait envie de se gifler, elle n’arrivait pas à se concentrer sur ce qu’elle faisait. Alors que la vie de cette pauvre Emeraude était en jeu ! D’habitude, elle restait tellement concentrée sur son travail qu’elle ne pipait mot. Mais là, elle restait bêtement debout, laissant vaquer son regard sur le paysage hivernal. La neige semblait avoir cessé de tomber, mais le temps était toujours aussi glacial. Soit, je me répète.
Daeron ressortit bientôt, l’air toujours aussi grave. Ce devait être naturel chez lui, elle ne lui connaissait pas vraiment d’autres expressions. Enfin, elle ne le connaissait pas du tout plutôt. Même si elle avait tendance à faire comme si c’était le contraire. La louve grise regarda à nouveau Daeron. Son regard semblait revenir à lui chaque fois. Si ça continuait elle connaitrait par cœur toutes les nuances de son pelage roux. Mais alors qu’elle se perdait pour la nième fois dans sa contemplation, laissant ses pensées s’échapper de la réalité pour filer dans toutes sortes de rêves éveillés, tous aussi loufoques les uns que les autres, le Protecteur pris la parole.

« J'aurais encore besoin de toi, si tu n'es pas occupée... »

La louve grise se contenta de lui sourire, revenant sur Terre. Occupée à faire quoi ? Cette patrouille en solo sans aucun intérêt ? Il en avait de l’humour. Birdy acquiesça encore une fois. Simplement pour signifier qu’elle ne partirait pas tant que l’Emeraude serait en totale sécurité. C’est vrai que le risque d’hypothermie était éloigné, mais ce n’était pas pour autant que sa survie était assurée. Mais alors qu’elle allait prendre la parole à son tour, ce fut une voix qu’elle ne s’attendait pas à entendre qui retentit.

« Alors, t'as besoin d'aide pour m'arracher le cœur ? »

La louve grise se contenta de se secouer. Les flocons commençaient à fondre et de l’eau s’insinuait doucement dans son pelage. Quelques gouttelettes voltigèrent dans tout les sens avant d’éclater par terre.

Sur ce, elle jeta un dernier regard à l’Emeraude qui venait de retomber dans la tanière du Saphir.


Birdy se retourna pour de bon, espérant que l’Emeraude ne tenterait pas de s’enfuir. Elle ne semblait pas tout à fait d’accord d’être dans la tanière de son agresseur, mais soit. Qu’elle retombe dans le coma si ça l’arrange, elle devra bien attendre qu’elle arrive avec le druide. Courant à toute patte, la louve filait à toute allure à travers les sous bois. Birdy reviendrait bientôt et les tourments de Daeron seront terminés. Pour l’instant…