Le temps se calmait, depuis quelques jours. Cela faisait un moment maintenant que la température remontait doucement. J'aimais ce temps qui restait froid mais qui, de part la période, laissait parfois le soleil offrir ses rayons chauds à la terre.
J'avais fait de nombreuses rencontres, toutes aussi différentes les unes que les autres. D'abord ce loup Emeraude dont je ne connaissais que la douleur, puis pas mal de solitaires avec qui j'avais connu des liens toujours plus divers. Et cet autre mâle Emeraude, Rhaego, qui m'avait semblé tellement proche de moi que je n'avais pu m'empêcher de lui caresser le visage en signe de compassion ultime. Ce rencontre avait été pour moi, après celle du premier mâle, la plus étrange. Les loups, dans leurs regards, avaient de telles intensités de sentiments, qu'il m'était toujours difficile de rester neutre. j'ignorais si c'était à cause de la perte de Sky, mais depuis sa mort, je captais dans les yeux de tous ceux que je croisais, toute la puissance de leurs émotions les plus douloureuses et les plus noires. Je me sentais chaque fois, comme ils se sentaient même si leurs sentiments ne me concernaient en rien.
Que faire? Quoi dire? Comment agir? J'étais chaque fois tourmentée par les attitudes à prendre face à tel ou tel loup.
Et comme si les sentiments des autres n'étaient pas suffisants, les miens semblaient prendre un malin plaisir à tourmenter mon esprit perturbé.
Alors que je tapais dans un caillou en soufflant d’exaspération, je ressentis la présence d’un autre loup que, à l’odeur, je ne reconnaissais pas.
Encore une nouvelle rencontre ?

[Si personne ne vient, je prends]

Kerena était assise devant la tombe de sa mère, la tête courbée et les yeux voilés par sa réflexion. Elle parlait dans sa tête. Cela lui faisait du bien, parce que personne ne lui adressait de paroles de réconfort, alors elle s'auto-consolait. Dans la meute Emeraude, elle était celle qui s'occupait des autres. Pas le contraire.
- Bonjour, Maman. Est-ce que ça va? Ou plutôt, est-ce que tu me regardes, depuis un endroit réservé aux morts, ou est-ce que je ne parle qu'à un corps décomposé sous la terre? Tu me manques. Pas que j'ai envie de te rejoindre, mais quand même. Et désolée de m'être battue avec cet idiot de solitaire la dernière fois, je sais que c'est interdit ici.
Elle garda son regard vert fixé sur la dalle de pierre couverte de neige et caressée par un rayon de soleil doux. Seul son esprit se tourna, focalisé sur l'ouîe, vers la présence lupine qu'elle avait détecté derrière elle.

Tournant machinalement la tête, je constatais non pas une mais deux présences lupines. Un mâle noir, probablement solitaire à l'odeur neutre qu'il portait, et une louve fauve Emeraude, que je reconnu facilement puisqu'elle portait les effluves de celui qui me tourmentait, et également celles de Rhaego.
Je n'avais pas particulièrement envie de parler, et il semblait que la louve n'était pas non plus très apte à discuter. Je perçu cependant le regard en coin du loup noir, qui s'en alla ensuite à l'opposé de nous, dans un soupir qui ne m'échappa nullement.
Devais-je aller voir l'un d'eux?
Quelle question débile! Va voir le gars! Tu cherche ton âme soeur, oui ou chiotte!? Cette femelle n'est rien d'autre qu'une âme en peine qui ne trouve rien d'autre à faire que de s'asseoir devant une tombe pour ne rien faire!
Cette fois, j'en eue plus qu'assez de cette fichue voix dans ma tête. Délibérément, je me dirigeais vers la louve fauve et m'asseyais en face d'elle, de sorte que la tombe se trouva entre nous. Elle fixait la pierre, concentrée dans une tâche que je ne pu définir, et je la détaillais, gardant un regard discret sur le mâle, non loin.
Je me raclais la gorge discrètement mais suffisamment fort pour la sortir de sa torpeur. Ma voix résonna grave et sèche, prouvant que je n'étais ni impressionnée, ni gênée de la déranger dans un tel moment. Ben oui, faut bien protéger ses arrières quand même! Si je montrais une moindre faiblesses, je ne doutais pas que cette louve trouverait bien un moyen de la retourner contre moi. Alors autant paraître dominante et assurée, pour diminuer les risques.

- Dis, tu serais pas une Emeraude, par hasard?

Même si je m'adressais à la femelle, je ne pouvais m'empêcher de porter mes oreilles dans la direction du mâle, intriguée de savoir ce qu'il faisait et ferait par la suite. J'étais bien tentée d'aller à son encontre, mais il n'avait pas semblé bien heureux de nous trouver ici et je ne souhaitais pas m'attirer les foudres d'un inconnu paumé dans ses sentiments de regrets et de pertes. Même si, je devais l'avouer, j'ignorais totalement s'il était là pour quelqu'un en particulier...

- Dis, tu serais pas une Emeraude, par hasard?

La louve s'était exprimée fortement, d'une voix bien trop grave et assurée pour ne pas être factice. Kerena releva la tête et planta ses yeux de jade dans ceux, dorés, de l'inconnue. Elle y fouilla jusqu'à dénicher la faille, celle qui dissimulait les faiblesses. Elle y découvrit la confirmation de ce qu'elle pensait -la louve était plus fragile qu'elle ne voulait le montrer- mais ne creusa pas, pour ne pas indisposer son vis-à-vis. Elle est comme ça, Kerena, clairvoyante mais pas indiscrète. Elle décida de répondre et prit sa voix habituelle, sereine, calme et conciliante:

- Bonjour. Oui, je suis Emeraude et toi, tu dois être solitaire.

Elle rebaissa les yeux et essaya de replonger dans son monologue mental, mais elle découvrit que le charme était rompu. Manque d'intimité, sans doute. Elle releva le chef, refixa la solitaire et remarqua son attention à peine masquée vers l'autre mâle, là-bas, qui leur avait accordé un rapide coup d'oeil avant de continuer.

- Si tu veux le rejoindre, il est normal que tu préfères sa compagnie à la mienne.

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