Il faisait noir. La journée avait déjà commencé depuis longtemps, et pourtant il faisait noir. Evydence traînait dans le cimetière depuis plusieurs heures déjà, et l'ambiance qui régnait au cimetière lui foutait le morale dans les baskets. Elle ne savait pas ce qui l'avait mené ici, mais ce qu'elle savait c'est qu'elle y était, et elle n'était pas prête de partir. Elle errait dans les allées, jetant parfois un coup d'oeil aux noms qui défilaient sous ses yeux. Tous ces loups, partis trop tôt où trop tard pour certains, injustement pour d'autres. Tout ça lui rappelait son passé, sa mère, ses frères... Toutes ces larmes qui devaient à présent nourrir le sol froid du cimetière. Elle n'aimait pas ça. Pourtant, elle se sentait obligée de rester, comme si elle était incapable de partir d'ici. Ses pas étaient lourds, lents, et parfois hésitants. Sa longue queue grisâtre fouettait le sol par moment, soulevant des petits monticules de poussière. Elle marchait la tête basse, l'échine courbée. Son regard se perdait au loin, revenait auprès d'elle, disparaissait, s'effaçait, jonglait entre les pierres et le sol, les arbres, et tout le reste. Elle ne faisait même pas attention à toutes les odeurs qui venaient à elle. Elles étaient, pour la plupart, nauséabonde, porteuses de malheur, à en faire vomir plus d'un. Elle aurait dut y faire attention. Parce que ce qu'elle ne savait pas, c'est qu'elle n'était pas seule ici. Bon certes, elle s'en tapait royalement et n'était pas venue ici pour prendre le thé avec des inconnus. Mais cette autre présence aurait bien put être fatale pour elle.

Evydence finit par s'arrêter au milieu d'une allée. Elle s'assit, doucement, et ferma les yeux. Elle écoutait. Une multitude de son l'entourait, tous aussi différents et étranges les uns que les autres. Des bruits de feuilles par moment, produit par le vent qui soufflait et qui faisait s'entrechoquer les branches du peu d'arbres qui entouraient la louve. Parfois, c'était des bruits de pas, mais ça elle accusait son imagination de lui jouer des tours, comme d'habitude. Il y avait aussi ce silence pesant, qui revenait parfois, et qui oppressait la femelle. Elle ne se sentait pas en sécurité et, paradoxalement, se sentait bien là où elle était. Mais pour combien de temps...

Un bruit étrange vint sortir la louve de sa rêverie. Un bruit proche, menaçant, un grognement. Evydence ouvrit lentement les yeux et n'osa pas bouger. Elle était terrifiée. Et ce n'est que lorsqu'elle sentit la chaleur d'un autre corps se rapprocher dangereusement de son crâne qu'elle tourna légèrement le regard. Des crocs. Une puissante mâchoire la menaçait à quelques centimètres de son oreille. Il ne fallut pas la prier pour qu'elle fasse quatre pas en arrière. Pas deux cette fois-ci, non, juste quatre. Elle tremblait, mais essayait de ne pas le montrer. L'obscurité cachait le visage du loup, et elle ne percevait dans la pénombre que de ronds bordeaux au milieu du vide total. Ses yeux. Elle recula alors de deux pas supplémentaires. Elle ne voulait pas se battre, elle ne voulait pas d'ennuis. Mais elle n'avait pas non plus envie de quitter les lieux. Et lorsque le loup lui demanda de partir, elle ne le fit pas. Mais elle ne répondit pas pour autant.

Elle n'avait aucune idée de qui se dressait devant elle. Ce n'était pas un Opale toujours, puisqu'il émanait une forte odeur. La même que celle d'Evydence. Elle en déduisit qu'il devait être solitaire... Alors pourquoi la menacer ainsi? Elle ne voulait pas de mal à ce loup, et voulait juste être tranquille. Et, à son avis, le cimetière était bien assez grand pour eux deux, pour qu'ils n'aient pas à se croiser si le loup voulait être seul. Elle se rassit calmement, essayant de faire comprendre à son interlocuteur qu'elle ne voulait pas se battre, qu'elle était passive à son égard. Elle espérait juste qu'il n'allait pas lui sauter dessus comme un dégénéré, car la posture dans laquelle elle était l'empêchait fortement de se défendre. Puis, en plus de ça, elle ne savait quasiment pas se battre. Elle toussa bruyamment, rompant le silence qui pesait depuis quelques minutes entres les deux loups. Elle l'observait scrupuleusement, essayant de distinguer les limites de son visage et de son corps, mais c'était peine perdue. Elle ne quittait par contre pas son regard pourpre une seule seconde. Elle ne voulait pas se faire surprendre.