Je rêvassais.
Réfléchissant à tout ce qui s'était passé depuis la mort de Sky. Tout d'abord, j'avais tué l'un des complices de son meurtrier. Ensuite, les autres m'avaient pourchassée et enfin, j'étais arrivée ici, sur les terres de Wolf Temporal. Si il existait une chose à laquelle je ne m'attendais sûrement, c'était de revoir l'un de mes frères. Enfin, je me doutais que je croiserais Blood, puisqu'il vivait ici. Mais aucun autre de mes frères n'était censé avoir rejoint Blood. Et pourtant, cela était arrivé. Et pire encore, il était devenu Alpha de la meute qu'il avait choisi! Et en plus de ça, il avait tourné le dos à la meute de notre propre frère!
Vraiment, ces derniers temps je ne comprenais plus Daeron. Non seulement il avait quitté la meute alors qu'il était le fils héritier, mais en plus il semblait renier sa véritable famille!
Bon, ok je l'avais ignorée la première. Mais et alors!? N'aurait-il pas simplement pu me présenter aux autres meutes et ensuite prendre de mes nouvelles? Non, au lieu de cela il avait tourné les talons et était rentré chez lui, sans m'accorder le moindre regard. Eh bien soit, s'il voulait bouder, qu'il boude!
Pour ma part, j'avais d'autres projets avant d'aller entendre ses explications. Il fallait que je retrouve Blood pour entendre sa version des faits. Parce que d'accord, j'étais heureuse d'avoir retrouvé deux de mes frères. Mais avant que je ne sache qui était sur ces terres, j'avais surtout découvert une tombe portant le nom de ma meute natale. Ce qui signifiait qu'au moins l'un d'entre eux était mort. Hors, personne n'avait pu apprendre pour Sky, puisque j'étais seule avec lui ce jour-là. Mais alors, qui avait laissé la vie sans que j'en sois au courant? Slyde Wolf? Dark Eyes? Wall Eyes? Il fallait à tout prix que je sache.

Eh puis ce loup, là! L'Emeraude! J'ignorais encore son nom après deux aussi longues rencontres? Qu'est-ce qui pouvait être normal là-dedans? En plus, qu'est-ce qu'il était sexy! Mais bref, ce n'était pas ça qui m'intéressait chez lui. Même si ça avait quand même sa place... Enfin... Ce qui m'attirait réellement chez lui, c'était ce regard, empli de souffrance et d'amertume. Et cette sale habitude de vouloir tout cacher aux yeux de tous! Il semblait trop fier pour demander de l'aide, mais je sentais que la fierté n'était pas parmi ses défauts. Non. Autre chose l'empêchait de se livrer. Il m'avait semblé, lors de notre première rencontre, que la fraternité était pour lui au moins aussi importance que pour moi. Alors... Peut-être un frère ou une soeur? Qu'il ne voudrait que protéger? Peut-être...

C'est couchée en plein territoire rubis que je me trouvais, pensant à tous ces soucis qui m'embêtaient plus qu'autre chose. Peut-être que mon odeur différente de celle de leur meute, attirerait un quelconque loup qui pourrait me conduire à mon frangin?
M'enfin...

Sa bouille de bébé apparut soudain devant moi. Mais plus loin que sa fragile petite tête, je voyais son air supérieur et fier de lui.
Poli, certes, mais il ne cachait pas son tempérament de royal emmerd*ur et je n'étais pas d'humeur à me laisser marcher sur les pattes sans rien dire. Déjà que je n'étais pas très "louveteaux" mais alors quand j'étais de mauvaise humeur, il était déconseillé de m'en coller un dans les pattes si les parents souhaitaient le revoir vivant. Ou le revoir, tout simplement...
Oui, parce que j'étais capable d'imaginer les pires abandons qui soient.
Un louveteau curieux qui court partout dans une forêt, est si vite perdu lorsque malencontreusement on ne le regarde plus...
Ou alors, durant une balade au bord d'une falaise, un faux pas et plouf! Le louveteau, à pu!
Ah... Quel délice d'imaginer une possible fin pour un être si méprisable et si inutile.
Relevant lentement la tête vers le petit qui venait de s'asseoir face à moi, je laissais échapper un soupire d'agacement avant de prendre la parole.

- Tu veux quoi?

Visiblement, il était aussi Rubis que moi. Son odeur était tellement unique, qu'il ne pouvait être qu'un solitaire. S'il s'était perdu, qu'il ne compte pas sur moi pour le ramener dans les poils de sa mère.

Le petit se contenta d'un semblant de mot avant de m'ignorer royalement pour aller laper l'eau sanglante du lac. Peut-être cela lui plaisait-il, mais quoi qu'il en avait pensé, il n'avait pas fait durer sa petite expérience et était revenu près de moi avant de s'asseoir pour ensuite me regarder avec un regard typique de louveteau content.
Ma voix se rembrunit et sa gravité montrait bien mon agacement.

- T'es content? T'as découvert quelque chose de nouveau?

L'ironie était presque palpable dans l'air, tant mes propos ne laissaient aucune place au doute. Même un petit de huit jours aurait su comprendre que je ne pensais pas un mot de mes questions. J’espérerais qu'il bouderait et partirait simplement, et sûrement pas qu'il me réponde. Les gosses n'étaient décidément pas mon truc. J'avais seulement envie de le renvoyer chez sa mère, ma patte dans le derrière.
Je me demandais alors, comment aurait réagis le loup Emeraude face à un ou plusieurs petits. Je savais qu'il détestait les louves et qu'il n'était pas particulièrement loquace face à toute forme de vie, lupine ou pas. Cependant, j'étais curieuse de découvrir, ce qu'il ferait devant un petit sans défenses...

Je roulais des yeux. Son air faisait pitié, et j'avais de plus en plus envie de lui botter le train... M'enfin...
Sa voix semblait ridicule et ne faisait apparaître sur mon visage, que dégoût et regrets.

- Enfin quoi? T'as jamais chassé? Il t'ont rien appris, tes parents?

Allez Vix', trouve ses points faibles et fais-le couiner!
Si seulement... Mais j'étais bien là, et tout ce que je souhaitais, c'est qu'il se casse enfin pour me foutre la paix. J'avais d'autres choses à penser, que distraire un louveteau pommé.
Bon. Après réflexion, peut-être que j'allais m'amuser un peu. Plutôt que de lui faire du mal, j'allais me payer sa tête sans fatiguer mes muscles.
Allez Vix', tu sais faire ça, enquiquiner le monde jusqu'à ce qu'on te supplie d'arrêter, n'est-ce pas?
Evidemment. Quand on naît dans une fratrie de sept, et qu'on est la seule femelle, faut savoir se faire entendre! Alors allons-y morveux, amusons-nous un peu...

Le petiot ne me surprit pas lorsqu'il m'annonça qu'il avait perdu sa mère. Mais alors qu'il me demandait clairement de l'adopter, un grondement s'échappa de ma gorge et je montrais instinctivement les dents.

- Crois-tu réellement que je n'ai que ça à faire? Penses-tu être le seul à avoir perdu ta famille? Qui de nos jours, n'est pas orphelin ou en mal d'amour?

- Va-t-en morveux! Je ne veux pas de toi dans mes pattes!

Non mais que croyait-il? Que grâce à ses petits yeux tristes et à sa bouille de bébé perdu, j'allais le prendre sous mon aile et l'éduquer comme mon fils? Quelle blague! J'avais bien d'autres choses à penser que de m'encombrer d'une telle charge!
Et puis, je n'avais jamais envisagé d'avoir des petits, alors d'en adopter! Encore moins! Il était véritablement et inconditionnellement impossible que j'envisage une telle chose aussi horrible que d'avoir une créature inutile et pleine d'idée stupides entre les pattes.
Comment pourrais-je chasser avec ça? Un mouvement de travers et la moindre proie se volatilisait! Je n'allais tout de même pas me rajouter du boulot en prenant une nouvelle bouche à nourrir! Non, non, non! La seule bouche autre que la mienne, que j'étais prête à nourrir, c'tait celle de l'un de mes frangins. Aucune autre gueule ne recevrait jamais la moindre parcelle de viande de ma part.

La question me fit stopper tout acte menaçant. Incapable d'avoir une responsabilité? Ne pas supporter la naïveté et la stupidité des louveteaux? Certainement. Mais incapable d'avoir une responsabilité? Cette partie de la question me laissais, je devais l'avouer, perplexe. Que dire? Mon regard se perdit dans le lac, pendant que le petit parasite s'amusait à couler une tête pour la regarder remonter lorsqu'il levait sa patte. Incapable d'avoir une responsabilité... Peut-être...
Depuis que j'avais perdu mon frère jumeau, je ne m'étais liée à aucun autre loup. Par peur de souffrir encore mais aussi probablement par peur de voir un autre loup qui me serait cher mourir sous mes yeux. Peut-être, que j'avais perdu confiance en moi en perdant le seul être qui comptait à mes yeux.
Oh, mes cinq frères étaient évidemment les plus importants à mes yeux. Mais cette relation que j'avais eu avec Sky était sans précédent, et ce n'était pas avec l'un de mes frères que j'avais une chance de la reconstruire comme je l'avais connue.
Alors mon seul espoir jusque là avait été de trouver mon âme soeur, le seul d'après moi qui serait susceptible de me comprendre que Sky me comprenait. Le seul selon moi, qui lirait en mon esprit comme dans un livre ouvert. Le seul, pour qui je pourrais aller au bout du monde sans poser de question et sans demander quand est-ce qu'on arrive. Le seul, que je cherchais désormais et que j'avais peur de ne jamais trouver.
Finalement, je redressais mon regard sur la petite créature qui gâchait mon repos et semblait se plaire à m'ennuyer plus encore.

- Ne parle pas de ce que tu ne connais pas, microbe. Une responsabilité, tu n'en n'as jamais eu. Alors n'utilise pas des mots qui sont réservés aux grands. Et, je ne déteste pas les louveteaux. Ils ne m’intéressent pas. C'est tout.

Alors que je voyais ses oreilles inclinées dans ma direction pour m'écouter, je ne constatais aucun changement dans l'attitude inutile du petit.
Au fil du temps qui passais, j'avais hâte qu'il reparte d'où il était venu pour que je puisse faire ma vie tranquille, et que je puisse également réfléchir en paix, à ces paroles qu'il m'avait dites.

Que répondre ? Les deux ? Oui, c’était effectivement les deux seules choses qui m’effrayaient au plus haut point. J’étais littéralement terrifiée à l’idée d’aimer à nouveau, ou d’être aimée. Si la mort de Sky était ma faute, pour rien au monde je ne souhaitais risquer la vie d’un autre loup. Mais je ne pouvais m’empêcher d’espérer, de prier qu’un jour quelqu’un me revienne et me permette de vivre à nouveau. Quelle naïveté, n’est-ce pas ? Qu’il faut être stupide, pour croire à de telles histoires. Et pourtant, désespérément, j’y croyais. Du plus profond de mon être, j’attendais cette venue, inattendue et pourtant tant espérée.
Amèrement, je lui souriais, résignée. Ce petit avait beau être très jeune et avoir encore la vie devant lui pour découvrir et apprendre, il en savait déjà pas mal sur les atrocités que la vie peut faire connaître.

- Eh bien gamin, probablement sont-ce ces deux sentiments qui me dont peur.

Je me levais tranquillement et soupirais avant de m’avancer vers lui pour ébouriffer sans gêne sa frimousse de bébé. Il n’y avait pas de doute, ce gosse avait une lampée de sagesse peu commune pour son âge. Je le détaillais et m’amusais finalement de sa bouille agacée par mon geste. Dans un sourire qui se voulait amical, même si je n’aimais pas les louveteaux, je cherchais à l’ennuyer à mon tour.

- C’est quoi ton nom, gamin ?

Que d’amusement ! J’en étais quand même réduite, à chercher les poux à un gosse d’à peine quelques semaines. Ridicule. Lamentable même. Mais mon sourire ne se détachait pas de mon visage, je n’avais pas envie de faire la tronche, tout compte fait. Je sais, vous venez de découvrir que je suis lunatique à l’extrême. Ben faudra vous y faire, elle est comme ça, la Vixen.
Détaillant le petiot du regard, je m’attendais à une réaction agressive même si très peu impressionnante au vue de son minuscule gabarit. Ce gamin avait le cran et une grande gueule qui me plaisait bien. Il semblait, malgré son jeune âge, être déjà tenté par un caractère plutôt flippant, à vrai dire. C’est vrai, quoi. Vous en voyez souvent, des louveteaux qui s’éclatent à faire couler une tête pour la regarder remonter à la surface ? Moi, c’est la première fois que j’en croise un qui ne fonce pas se planquer entre des pattes adultes pour se cacher de la vision affreuse de la chose flippante qui flotte près du bord du lac. Et puis, je crois que c’est même la première fois que je croise un gosse qui se balade volontairement près du lac de sang.
Ok, je reconnais que pour moi aussi, c’est ma première balade ici. Mais quand même ! Les louveteaux que j’ai croisé durant mon errance, bah ils se planquaient au moindre craquement de branche sous leur patte, alors…
Celui-là en revanche, avait les tripes bien accrochées et il me semblait qu’il lui manquait quelques cases. L’avenir de ce gamin promettait déjà d’être intéressant. Je le voyais bien devenir un loup bagarreur et agressif qui chercherait à ennuyer tout le monde à la moindre occasion qui se présenterait à lui. Je le voyais bien s’entraîner chaque jour pour devenir grand et fort, et ensuite devenir un loup impressionnant et susceptible qui sauterait à la gorge du premier qui lui ferait une remarque désagréable sur son odeur ou sa façon de chasser.
Je me rendis compte finalement, que je m’éclatais mentalement à imaginer son avenir, et je trouvais ça carrément marrant.
Avant même qu’il ne me donne son nom, je partais sur le sujet qui me travaillait déjà.

- Dis, tu comptes faire quoi de ta vie, plus tard ? Parce qu’avec ton caractère de chieur, tu risques d’être marrant à observer.

Ouai bon, ça manquait de psychologie. Mais c’était qu’un gamin, et je n’allais pas me triturer le cerveau pour trouver des trucs simples à comprendre, juste sous prétexte qu’il était trop jeune pour entendre certains mots. Valait mieux le former dès maintenant aux véritables faits, plutôt que de lui apprendre par étape et devoir recommencer quinze mille fois les mêmes leçons après. Mon sourire amère se changea finalement en un véritable amusement, et je réalisais que cette rencontre n’était peut-être pas si chiante, en fin de compte…

Le petit me faisait littéralement rigoler. Cet air de vilain dans un être si mignon, cela valait le détour ! Que deviendrait donc cette petite bête en grandissant ? Tuer… C’était tout ce qu’il avait en tête ? Prendre la vie d’autrui et s’en rassasier ? Probablement involontairement, ce louveteau grande gueule me faisait énormément penser à mon frère. Pas mon jumeau, ça non, sûrement pas. Mais mon autre frère, seulement de portée.
Blood avait toujours été un sauvageon, sans cesse à la recherche d’une nouvelle bêtise, d’une nouvelle cible à aller enquiquiner. Etrangement, il ne s’était jamais contenté de nous, ses propres frères et sœurs. Jamais il n’avait joué au méchant avec nous. Les adultes de la meute le connaissaient, ça oui. Il était le vilain, le pas sage. Celui sur qui on ne pouvait jamais compter, parce qu’il cherchait toutes les occasions possibles pour nuire aux lois de la meute. Aux yeux des adultes, Blood n’était que le vaurien, le désobéissant rejeton de l’Alpha. Personne ne croyait en ses capacités de succéder à notre père, et lui-même ne semblait pas avoir cette idée dans ses projets. Pourtant, même avec tous les efforts qu’il fournissait quotidiennement, il ne parvenait pas à atteindre la réputation spécifique qu’il cherchait à se créer. Tout ce qu’il souhaitait, c’était d’être dévisagé, craint et fuit. Mais personne ne le voyait comme le grand méchant loup. Non, ils avaient bien autre chose à penser, que de maudire un louveteau albinos tout ce qu’il y a de presque banal, dans une meute de loups arctiques.
Le véritable vilain petit canard, c’était Daeron, le plus robuste de la portée. Lui, il était craint et maudit. Lui, il était fui et haï. Malheureusement, contrairement à Blood, ce n’était pas ce qu’il souhaitait. Il avait largement payé sa faute d’être coloré, durant notre enfance. Notre propre père le regardait avec une lueur de dégout dans les yeux. Mais pensaient-ils à ce que Daeron pouvait ressentir ? Et en le nommant ainsi, qu’avaient-il espéré ? Qu’il deviendrait le contraire de ce à quoi ils le prédestinaient tous ? Quelle belle bande d’ahuris. Ne donnez pas à un bébé, des caractéristiques qui ne sont pas siennes. Ou assumez-en les conséquences. En grandissant, Daeron avait peu à peu appris à détester son nom et sa particularité. Même s’il avait toujours eu un bond fond, il lui arrivait souvent de subir une sorte de « court-circuit » dans son cerveau. Et durant ces moments-là, mieux valait pour quiconque ne pas se trouver sur son chemin. Je me souvins d’une partie de chasse à laquelle il s’était lancé seul, un jour où sa double personnalité avait pris le dessus.
C’était un don de mon frère, lorsqu’il sentait que le mauvais loup prenait place dans sa tête, il partait au plus loin de notre famille. Seuls nos frères étaient au courant de ce « défaut » de sa personnalité. Il avait peur à l’époque, d’en parler aux autres membres de la meute. Il avait peur d’être rejeté de la meute ou pire, tué. Alors, nous avions tous gardé le secret, pour la protection de notre frère tant aimé. Et oui, car malgré nos caractères bien différents, nous avions tous cet amour inconditionnel les uns pour les autres. Il était impossible pour quiconque, de faire en sorte que nous nous contredisions. Nous étions bien trop proches et bien trop accrocs les uns aux autres, pour laisser une simple querelle détruire notre lien si puissant.
Et malgré sa différence plutôt grande, Daeron était notre frère au même titre que tous nous l’étions les uns pour les autres. Je crois d’ailleurs, aujourd’hui quand j’y repense, que cet amour que nous lui portions était la seule raison qui le poussait à s’éloigner pour faire le mal, dans l’unique but de ne pas nous blesser, nous.
Il était un peu notre idole à tous les six. Nous l’admirions pour sa force de caractère et sa détermination à toujours essayer d’être meilleur et de dépasser ses limites. Quoi de plus admirable au monde, qu’un être rejeté qui tente à n’importe quel prix, d’être meilleur que ce que l’on pense de lui ? Rien. Rien de notre point de vue à tous les six. Daeron était le meilleur d’entre nous. Il était le plus fort, le plus juste et le plus droit. Aussi le plus loyal. Et aujourd’hui encore, je me demande pourquoi il n’est pas à la tête de la meute qui nous a vus naître. Slyde avait lui aussi toutes les qualités, mais je sais qu’il n’aurait pas pris le pouvoir sans que Daeron l’approuve et quand bien même, il n’aurait pas laissé partir notre frère sans le suivre fidèlement. Slyde était comme ça. Il était le plus admiratif devant la détermination sans faille de notre ainé.
Me rendant compte que je m’étais égarée trop longtemps de notre discussion initiale, je tournais mon regard d’ambre vers le louveteau en face de moi. Dans son regard émeraude, je revoyais un instant les iris métallisés de Daeron et secouais vigoureusement la tête pour reprendre définitivement mes esprits et chasser cette idée de nostalgie.

- Moi c’est Vixen, enchanté Melwin.

Je lui souriais nerveusement, cherchant un moyen d’en finir au plus vite car, après cette courte séance dans mon passé, j’éprouvais soudainement un violent besoin de retrouver les miens. Etrange n’est-ce pas ? Quand on considère que je les avais quittés avec l’idée de ne jamais les revoir ? Mais que voulez-vous, les liens du sang sont souvent plus forts que les idéaux eux-mêmes…

Visiblement, ce gamin avait bien plus dans l’esprit, que tous les louveteaux que j’avais eu l’occasion de rencontrer durant toute ma vie. Même moi à son âge, je n’avais pas une idée aussi arrêtée concernant mon avenir. Tout ce que je souhaitais à l’époque, c’était réveiller mon jumeau de bonne heure le matin et l’entraîner dans de nouvelles aventures toujours passionnantes et extravagantes.
Melwin me lança un regard suffisant et je le détaillais en silence. Cette rencontre n’avait pas été la plus anodine que j’ai pu faire durant ma vie. Malgré l’agacement permanent que ce gamin provoquait chez moi, je devais bien admettre qu’il était tout de même passionnant de converser avec lui et je trouvais très amusant de chercher toujours une nouvelle façon de l’atteindre pour l’enquiquiner et rire de ses réactions violentes et pourtant, de son gabarit, fort amusantes.
Je m’asseyais finalement et restais là un long moment, imaginant simplement ce que ce jeune loup allait bien pouvoir devenir avec de telles idées en tête.
Probablement un adulte craint et fuit par de nombreux habitants de notre beau territoire qu’était Wolf Temporal. Courage gamin, grandir n’est pas chose facile, et il est bon de profiter de son enfance. Même si tu le nie haut et fort, tu as besoin plus que tu ne l’imagine, de cette période d’insouciance et d’innocence.
Avec un sourire, je ne cessais de le regarder, plongée dans mes pensées. Tu as encore tant de choses à apprendre, gamin. Mais grandis vite tout de même, j’ai hâte de constater tes progrès.
Eh oui, vous êtes tous témoins, j’étais en train de m’attendrir devant un simple louveteau. Eh bien non. Vous vous mettez la patte dans l’œil. Ce gosse-là, aussi insupportable fut-il, était loin d’être un loupiot ordinaire. Il était évident, rien qu’en regardant la lueur de détermination luisante dans ses yeux, qu’il était bien plus qu’un bébé dans la fleur de l’âge. Ce gosse avait beaucoup de projets pour son avenir, et je trouvais cela admirable pour un petit de son âge.
Amusée, je tournais ensuite mon regard vers le lac de sang et repensais à ses derniers gestes. Jouer avec une tête sans s’en horrifier, je n’avais jamais vu un louveteau faire ce genre de chose complètement tordue et impensable pour un petit équilibré et bien éduqué. Ce gamin avait non seulement une case en moins dans le cerveau, mais il manquait aussi d’une chose primordiale pour son stade physiologique : Des parents dignes et stables. J’ignorais si ce gosse vivait avec une meute ou même un petit groupe de solitaires, mais il était clair et net qu’il se débrouillait seul. Ou alors, ses parents étaient carrément des fous furieux.
Décidée à en finir, je me levais tranquillement et faisais quelques pas vers le lac pour le longer quelques peu. Sans jeter le moindre regard au louveteau, je m’adressais à lui pour ne pas lui faire croire que je l’oubliais, perdue dans mes pensées.

- Eh bien Melwin, il me semble que tu n’as rien d’autre d’amusant à me dire. Je vais donc m’en aller vivre ma vie plus loin, en espérant que le gentil loupiot que tu es va sagement rentrer chez lui et faire des câlins à sa moman.

Si je cherchais à le mettre en rogne ? Pas spécialement. Je m’amusais simplement à le taquiner de la sorte, car c’était sans le moindre doute que j’avais deviné sa susceptibilité précoce.
N’était-ce pas ce qu’il cherchait depuis le début, me mettre mal à l’aise et pourquoi pas, hors de moi ? Eh bien, sache mon petit Melwin, que je suis aussi de ce bord-là, et que du haut de mes quatre ans, j’ai beaucoup plus d’expérience que toi dans le domaine. Peut-être un jour, sauras-tu comme moi, faire abstraction de tes sentiments pour apprendre de tes aînés, sans leur montrer que tu leur dois tout ce que tu sais. Ce n’est pas un don tu sais, d’être un emmerdeur. Cela s’apprend, et on ne devient un vrai chieur qu’après de nombreuses années passées sur le terrain.
Moi-même, j’ai encore beaucoup de choses à apprendre et j’observe tous les jours mes adversaires pour en connaître toujours davantage sur l’art de saouler.
Contemplant son regard fulminant une dernière fois, je lui souriais d’un air complice.

- Soit, je file maintenant. Et j’espère que nous nous reverrons, petit Melwin !

Je lui donnais un clin d’œil et m’éclipsais pour de bon, partant en trottinant vers les terres qui étaient miennes au même titre que tous les solitaires de ces terres.
Décidément, contrairement au territoire sur lequel j’étais née, en plus d’avoir des loups de toutes les couleurs existantes, il se trouvait ici un nombre incalculable de caractère différents, tous aussi passionnants les uns que les autres !
C’est avec le sourire aux babines que je disparaissais de son champ de vision, satisfaite de cette nouvelle rencontre pleine de richesses.