Enfin arrivée! C'est que j'en avais mis du temps, pour rejoindre la terre promise! Cela faisait des mois que je marchais, ne me nourrissant que de vulgaires petites proies telles que lièvres et lemmings. Depuis la perte de ma moitié, ma vie était plus tranquille, mais atrocement douloureuse. C'est sûr, je n'avais plus à m'inquiéter pour quelqu'un d'autre que moi. Mes chasses ne nourrissaient plus que moi. Mais ô combien il était dur d'apprendre à vivre à moitié... Je n'étais plus que l'ombre de moi-même, le fantôme d'un loup tombé. Sans Sky, je n'étais plus moi. Je n'étais plus que les vestiges d'un passé oublié. Plus qu'une silhouette perdue dans l'immensité blanche de l'arctique. J'avais connu et connaissais toujours, une douleur sans précédents, un mal sans équivalent. Et tout ce que je souhaitais, c'était de trouver mon âme soeur pour combler à nouveau cette partie de moi, qui s'était éteinte avec mon frère. Ce genre d'amour, qu'on ne peut trouver qu'une fois, et qui serait le seul et l'unique, le vrai.
Les premiers mois, en pensant à mon frère Daeron, j'avais laissé libre court à ma cruauté, espérant qu'elle ferait disparaître ma douleur. Mais la double personnalité de mon frère, n'appartenait qu'à mon frère... Alors, après plusieurs semaines de carnages sans non, qui cependant étaient sûrement loin des prouesses de Daeron, je décidais de trouver une autre tactique. Et pendant mes nombreuses journées de dépression, je me disais que si mon coeur n'avait plus qu'une moitié valide, alors je devais combler le manque par une autre moitié. La relation que j'avais entretenue avec mon jumeau avait été bien trop unique pour qu'un simple amour ne parvienne à supporter le manque. L'idée de l'âme soeur m'apparut alors comme une évidence. Un dernier saut dans le vide, comme on dit.
Alors j'étais partie vers les terres que l'un de mes frère avait rejoint avec sa louve. Nous avions eu par hasard des nouvelles de Blood et Relka, et savions qu'ils avaient trouvé un territoire qui leur correspondait, et où plusieurs meutes se partageaient des territoires entre elles. Je savais également que là-bas, des solitaires vivaient aussi, antre toutes les meutes.
Et me voilà aujourd'hui, enfin arrivée en terres libres sur Wolf Temporal. Je n'avais pas encore eu le temps de rencontrer des loups, ni de visiter les différents territoires. Mais le seul endroit où je désirais aller, était le cimetière.
D'abord en hommage à Sky, avec qui ma vie s'était terminée, et aussi en hommage à ma nouvelle vie qui commençait, et que je souhaitais meilleure autant que je la souhaitais pire. J'étais bien décidée, en ce jour sombre et enneigé, à trouver celui que je cherchais maintenant depuis des mois.
Malgré le temps qui me plaisait car presque aussi froid que chez moi, je me sentais toujours aussi mal. La nostalgie me prenait peu à peu et le visage de Sky se dessinait dans ma tête, en même temps que l'odeur de son sang emplissait mes narines et les sons de ses os brisés vrillaient à mes oreilles.
Ma tête se mit à tourner de plus en plus vite, et ma vue se troubla violemment. Titubant le moins possible, je m'appuyais aux tombes et les longeais pour ne pas m'écrouler.
Cherchant à recouvrer mes sens, je luttais pour me souvenir de ce que j'étais venue chercher ici.

Puis, l'odeur de la mort fut remplacée par celle de la vie, et ses effluves musquées vinrent chatouiller ma truffe. Je le cherchais du regard mais ne le trouvait pas, et remarquais enfin ses traces dans la fine couche de neige. Les suivant d'un pas lent et aérien, je le découvrais face à une tombe, perdu dans ses pensées. Je restais en retrait, immobile derrière une sépulture, et le regardais. Il leva son museau et sa truffe se mit à frémir, en quête d'une odeur.
Tournant machinalement ma tête vers la pierre tombale qui me servait de cachette, je tombais assise en constatant qu'il s'agissait, de celle de ma famille.
Comment cela avait-il pu être possible? Ma meute natale n'était pas originaire d'ici. Pourquoi une tombe était-elle posée là, à leur effigie? Qui avait pu les tuer? Et pourquoi? Lorsque j'étais partie avec Sky, il ne restait que Daeron et Slyde Wolf comme potentiels héritiers. Qu'avait-il pu se passer?
Toutes ces questions me bouleversèrent et je restais figée face à la tombe, incrédule. Ce ne pouvait être possible. Une telle chose n'avait pu arriver. Ce devait être une simple coïncidence. Oui, c'est ça. une simple coïncidence...
Mais au fond de moi, je n'y croyais pas. Mon museau s'humidifia, et je mettais cela sur le compte de la neige qui tombait. Peut-être fondait-elle au contact de ma peau...
Fixant sans la voir, la tombe devant moi, je me mis machinalement à renifler doucement. Avais-je alors, perdu tous mes frères? Etais-je maintenant, la dernière survivante?
Ma vue se brouilla, et je compris alors que la neige ne fondait pas. C'était mon coeur, qui se brisait dans ma poitrine, et ma douleur qui s'échappait de mes yeux ambrés.

Mon museau était complètement trempé, et les sanglots qui secouaient mon corps m’énervaient au plus haut point. Je n'avais jamais réussi à supporter la perte de mon jumeau, j'ignorais comment je pourrais vivre si la disparition de mes autres frères se révélaient exacte. Agonisant en silence, je sentais en moi, comme une brûlure à la chaux, qui ne s'arrêtait ni ne s'atténuait.
Un vent glacial vint ébouriffer mon pelage blanc de neige mais je l'ignorais complètement. Le temps semblait capricieux en cette période de l'année, la plus difficile des quatre saisons. Pour les loups d'ici, du moins. Moi, j'étais née au milieux de tout ça. Dans la neige, ouverte aux quatre vents. J'étais faite pour cet environnement, pour ce froid glacial et ces bourrasques violentes. Cet air me fit du bien, mais me tourmenta tout autant, me replongeant dans mes souvenirs. J'avais mal. Atrocement mal.
A la mort de Sky, j'avais découvert que les blessures infligées par un lupins pouvaient être bien misérables lorsqu'on les comparait à la douleur de perdre un être cher. Mais je n'avais pas seulement perdu un membre de ma famille ce jour-là. Je m'étais perdue en grande partie, et en ce soir d'hiver je me sentais disparaître plus encore.
Reniflant légèrement, je tentais de faire disparaître mes larmes. Désormais, je devais à tout prix retrouver Blood et Relka. Il fallait que je sache. Mais malgré ma façon de ravaler ma peine et ma peur, je savais que le rouge n'avait pas quitté mes yeux, et qu'il ne le ferait pas avant que j'ai retrouvé mon frère.
Ne pouvant quitter la tombe des yeux, je ne le vit pas arriver. Il s'approcha lentement, mais avec assurance. Et c'est seulement lorsqu'il fut à quelques mètres de moi et que sa puissante odeur lupine vint faire palpiter mon sang, que je constatais sa présence.
Brusquement je levais les yeux vers lui et le suppliais du regard. Sans la moindre hésitation, ignorant ses grondements et son air agacé, je marchais vers lui à une allure soutenue, flottant presque au dessus de la neige.

- Je t'en prie. Aides-moi.

Il me sembla surpris de mes étranges présentations. Mais je n'avais pas le temps, ni la motivation de papoter. Je voulais savoir. Je devais savoir.
Mon regard s'humidifia encore, et je secouais la tête avant de le supplier une nouvelle fois de mes yeux ambrés.

- Connais-tu un loup du nom de Blood? Ou peut-être sa compagne, Relka? Je t'en supplie, il faut que je sache s'il va bien. Pitié...

Et pour la énième fois, mon visage s'innonda. Hoquetant maladroitement, je ne pu lui expliquer ma requête. Mon frère... Je t'en prie, ne me laisse pas seule... Il fallait seulement que je le retrouve. Que je le vois.

J'avais attendu sa réponse avec la plus grande impatience. Mais sa voix claqua à mes oreilles comme une insulte. Il me prenait donc pour une comédienne. Je comprenais immédiatement que ce loup n'appréciait pas les louves. Visiblement, il avait de l'expérience et avait probablement connues des femelles dignes de leurs sexes. Eh oui. Moi aussi j'en suis une. Mais je ne peux m'empêcher de les détester. Elle sont trop mauvaises quand elles sont des choses à gagner. Et contrairement à toutes celles que j'ai connues, j'ai la fierté de ne jamais avoir frappé dans le dos. Je pense mes idées haut et fort, et le loup concerné est toujours le premier au courant.

- Je ne connais pas les loups dont tu viens de me citer les noms. Et, si tu cherches la compassion, sache que tu n'es pas au bon endroit.

Il était toujours menaçant.
Ma patte partit en une fraction de seconde. Mon visage se figea, mes yeux grands ouverts et imbibés le fixèrent. Même si les larmes continuaient à rouler le long de mon museau, l'air que j'avais prit était réellement surpris. Sa tête se pencha de côté après le choc de mon coup.
Un instant de silence nous sépara, et je prenais sèchement la parole.

- Ne prétends pas me connaître d'avance. Je sais mieux que quiconque, que les louves sont vicieuses et manipulatrices. Mais tu ne me connais pas. Et tu ne sais pas ce qui m'unie à mes frères. Sais-tu au moins ce qui lie des louveteaux d'une même portée?

Je jugeais à l'air que prenaient ses yeux, qu'effectivement il savait de quel lien je parlais. Alors je continuais, n'arrivant toujours pas à faire cesser le flux cristallin qui s'écoulait de mes yeux.

- Visiblement tu le sais. Alors ne me juge pas aussi rapidement. Probablement comme toi, je donnerais ma vie pour mes frères. Et cette tombe

Je montrais la pierre d'un regard /

- Porte le nom de ma famille. J'ai perdu mon jumeau. Je refuse de perdre les frères qu'il me reste. Ce n'est pas parce que tu es magnifique et fort, que tu peux te permettre de ranger toutes les louves dans le même sac. Certaines d'entre nous sont capables d’éprouver de véritables sentiments, et c'est mon cas. En tout cas pour mes frères.

Debout face à lui, je me sentais prête à endurer sa colère. Après tout, il semblait fier et paraissait ne pas porter les femelles dans son coeur.Une déclaration de guerre de la part d'un tel loup ne m'aurait pas étonnée.

- C'est toi, qui ne devrait pas juger aussi vite.

Quoi? C'était donc tout ce qu'il avait à me répondre? Doucement, la colère m'envahissait. Devais-je prendre le temps de me battre contre lui, même si je n'avais aucune chance de victoire? Ou m'était-il préférable de l'ignorer pour simplement partir à la recherche de mon frère?
D'accord, ce loup était plus qu'agréable à regarder.
D'accord, quelque chose en lui me perturbais.
D'accord. Mais je venais de lui en étaler une, et il n'avait réagit que par cette simple phrase? Non mais pour qui se prenait-il? Même si j'étais une femelle, j'estimais mériter un peu plus d'intérêt qu'un simple "C'est toi, qui ne devrais pas juger aussi vite." Et puis, qu'est-ce que cela signifiait au juste? Un avertissement? Une menace? Une simple observation? Comment étais-je censée réagir exactement? Lui en remettre une pour le réveiller? Risquer un combat pour la seconde fois? Mais entre prendre la fuite et risquer ma vie, qu'est-ce qui attenterait le plus à ma dignité? Si je retrouvais Blood, pourrais-je seulement le regarder en face après avoir fui lamentablement face à un ennemi? Sûrement pas, non. La seule pensée de mon frère sanguinaire m'empêchait de me défiler. Alors, ravalant définitivement la peine qui déchirait mon coeur, je secouais la tête pour évacuer tout l’élixir cristallin qui s'était échappé contre ma volonté, de mes orbes ambrées.
D'un regard dur, je toisais ce grand mâle et j'avançais d'un pas vers lui, ignorant ses grondements.

- Ne crois pas que je vais détaller devant ta carrure. Un loup peut être un mastodonte et ne pas savoir se battre, alors qu'au contraire un autre au physique piteux, aurait des capacités dépassant l'imagination. Je ne juge pas au premier regard. Et sache que je trouve ta réponse des plus minables. Ainsi c'est tout ce que tu as à argumenter sur la fraternité? Eh bien soit! Tant pis pour tes frères s'ils ont un loup indigne dans leur portée.

Je laissa d'abord ma phrase en suspens dans l'idée de la continuer après avoir repris un peu de souffle, mais l'idée me fit tilt et je coupais court à mes remontrances.

- Ah! J'ai compris! En plus de ne pas aimer les louves et de toutes les juger pour ce que toutes ne sont pas, môsieur n'est pas bavard! Eh bien soit! Faisons comme ça.

D'un regard malicieux, je m'asseyais tout près de lui et plantais mon regard dans le siens, sans ciller une seule seconde. Gardant le silence un long moment, j'attendais la moindre de ses réactions. Cependant, je voyais bien que de le regarder n'était pas pour son plaisir. Aussi, m'amusais-je à le fixer jusqu'à ce que sa patience en prenne un coup.

Terminé Vixen. Ton petit jeu, est terminé.

Je restais là, complètement stupide, inerte et ahurie. Que pouvais-je répondre à ça? Il avait beau montrer le contraire dans son attitude, je savais pertinemment que je venais de dépasser les limites.
Ainsi, ce grand dur éprouvait malgré tout, des sentiments. Ainsi, il était capable d'être blessé, et d'avoir de la peine. Ne rêve pas mon grand. Tu aura beau jouer de ton physique pour m'impressionner, tu ne pourra jamais faire mentir ton regard.
Le détaillant tristement, je reculais vivement puis détournais le regard, cherchant un endroit quelconque au sol, où poser mes yeux.
Finalement, je reposais mes orbes ambrées sur lui, mais le regret ne quitta pas mon visage. Que venais-je de faire? Bravo Vix', tu as tapé dans le mil...
Ma voix se brisa, et la mélancolie qu'elle transmis alors, me donna à moi-même la chair de poule.

- Je suis... Désolée.

Qu'aurais-je fais si l'on m'avait insultée de la sorte? Tu aurais sauté à la gorge de l'importun, quelle question!?
Et lui, pourquoi réagissait-il aussi pacifiquement? A n'en pas douter, il n'était pas aussi mauvais que ce qu'il laissait paraître. Que pouvais-je voir dans son regard? L'amertume, la déception, le regret. Visiblement, il ne s'appréciait pas lui-même. Mais pourquoi? Pourquoi un tel manque de confiance en lui? Qu'avait-il fait de si mal pour s'en vouloir autant?
Le temps s'arrêta. Ou peut-être était-ce seulement moi, qui ne voyais plus les choses de la même façon.
Un flocon se posa délicatement sur le museau du loup et fondit immédiatement, mais je voyais sa fonte aussi clairement que si elle se passait au ralentit. Pourtant cela s'était passé si vite qu'il n'avait même pas eu conscience de cette présence près de sa truffe.
Une minuscule flaque d'eau subsistait sur ses poils, mais elle me semblait bien trop nette pour que ma vision soit normale. Que m'arrivait-il? Je n'avait pas la réponse à ma propre question.
Ma tête se mit à tourner et je la secouais légèrement pour revenir à la réalité. Le sens de cette expérience que je venais à l'instant de vivre? Je ne le comprenais pas moi-même. Mais une chose était sûre, ce loup avait quelque chose en lui, qui m'empêchait de simplement m'en aller.
Le regard dans le vague, je revoyais la scène avec précision, entendant comme en écho, les paroles que je lui avais presque crachées.
Je n'avais plus rien à faire ici. Et la meilleure chose que j'avais à faire était de le laisser, à présent. Je plongeais une dernière fois mon regard dans le sien, puis je me levais et reculais lentement, luttant intérieurement pour arriver à le quitter.
Et enfin, je réorientais mon corps et prenais le chemin du retour, sans un mot de plus.