Caleb marchait silencieusement dans la Jungle, les yeux rivés au sol, luttant contre le flot de souvenirs qui remontaient dans son esprit, et la faisait souffrir un peu plus. Elle se souvenait parfaitement de tous les détails, du lierre qui parsemait la roche de la Grotte Familiale, jusqu'aux lucioles qui s'envolaient énergiquement dés que les lupins passaient en courant dans les hautes herbes. Elle s'en souvenait, et en était fière. Elle ne trahirait pas sa Meute déchue, elle les vengerait, comme elle l'avait promis en sombrant dans le gouffre de son enfance. Tous ces loups, qui vivaient bien tranquillement leur petite vie, allaient comprendre, et souffrir comme avait souffert sa Meute. Quoi qu'il arrive, elle resterait fixée sur son objectif, et ne faillirait pas a sa Mission. Même si pour cela, elle devait restreindre ses sentiments et ses besoins, pour ne devenir qu'une simple arme de Guerre et de Tuerie. Elle avait déjà sacrifiée trop de vies pour pouvoir être pardonnée, et se repentir n'était pas son envie, loin de là. Un oiseau voleta d'un arbre a l'autre, et la louve s'arrêta un instant, les yeux levés sur le volatile, qui semblait la surveiller également. Une minute suffit. Une minute suffit a faire fuir l'animal, mitraillé par son regard assassin.

Elle reprit sa marche, prenant toujours garde ou elle posait les pattes ; effectivement, le sol de la forêt était principalement composé de mousse et de terre humide a souhait, alors tomber dans un trou était un jeu d'enfant, même pour un adulte prévoyant. Hors de question de retomber une fois encore. Elle ne savait même plus depuis combien de temps elle marchait dans cette forêt isolée, tournant encore et toujours en rond, sans trop savoir quoi faire et dans quelle direction aller. Elle se fiait a son flair et a son instinct, qui pour l'instant lui ordonnait d'aller droit devant, sans s'arrêter. Alors qu'elle était a priori calme et assurée, un fin craquement la mit sur ses gardes, et aussitôt, elle se campa fortement sur ses pattes, les oreilles dressées, le regard menaçant, et les crocs déjà bien sortis. Qui que ce fut, ou quoi que ce soit, il n'allait pas passer un bon quart d'heure. Cette forêt était dense et apparemment, peu de loups s'y aventuraient régulièrement. En somme? Pas besoin de jouer les faux-culs, ou de mettre un masque, personne n'entendrait les cris d'agonie de celui qui s'aventurait vers elle.

Son regard froid et dur se porta sur celui qui se présentait aussi impunément a elle, et elle ne fut pas surprise d’apercevoir une autre louve devant elle, assisse a une distance respectable d'elle. Au moins, elle n'était pas venue occuper son espace vital, et lui bouffer tout son oxygène inutilement. Mais, cela ne l'étonnait pas plus que ça. Ben oui, on les connait bien les Femelles : majoritairement nourrices, engrossées ou prochainement engrossées, parlant déjà d'avenir et d'amour, d'une ribambelle d'adorables gosses dociles et obéissants. Mais oui bien sûr, et la vie est Rose, pendant qu'on y est. De un, elle ne respectait absolument pas les Nourrices. Autant dire qu'elle les détestaient, celles-là. Tellement incapables de faire quelque chose d'utile qu'elles se retrouvaient a faire mumuse avec des loupiots encore assez débiles pour les trouver gentilles au lieu de ridicules. De deux, mais bon sang, qu'avait donc tous ces crétins de Mâles, tellement imbus d'eux-mêmes qu'ils pensent pouvoir violer n'importe quelle femelle, comme si il y avait marqué sur leur front, en lettres Majuscules : "Disponibles 24/24 h, 60/60 min, vierge et innocente." Et de trois, enfin, le futur. Pour elle, c'était pas bien compliquée : le Mâle faisait ce qu'il avait a faire, il se barrait en laissant la Mère derrière lui, et voilà que plusieurs mois plus tard, vous la retrouviez pleurant sur les cadavres frêles de ses enfants affamés. Bref...rien que la Merde, selon elle.

- Qui est-tu, toi? Et arrêtes de me regarder comme ça, je déteste ça.

Confiante, elle ne songea même pas a s'asseoir également, rien que pour paraitre plus petite, et moins massive, et resta bien campée sur ses quatre pattes, la voix dure. Elle n'aimait pas leurs regards. Doux, attentionnés, pour la plupart désintéressés. C'était la preuve flagrante qu'ils ne connaissaient pas le Monstre qu'elle était devenue par leur faute, et qu'ils ne songeaient même pas un seul instant a l'horreur qu'elle allait leur faire subir a l'avenir. Bref, revenons-en a nos moutons. La femelle blanche devant elle garda encore un instant le silence, et Caleb résista difficilement a l'envie de lui sauter a la gorge, pour lui arracher ne serait-ce qu'un gargouillis comme le sang venait se déverser dans sa gorge. Au moins, elle serait un peu plus causante, la Demoiselle. Allez, zen, calme-toi une bonne fois pour toutes, maintenant. Elle inspira profondément, histoire de se détendre, mais ne parvint pas a apaiser ses muscles tendus par la Rage. Fallait bien qu'elle pète un câble un jour ou un autre. Elle n'avait rencontrée qu'un seul loup pour l'instant, et pourtant, il la mettait déjà sur les nerfs. Ce solitaire qui fait la tête de mule alors qu'il lui ressemble. Enfin, un peu. Jamais il ne pourrait comprendre la souffrance qui la liait a WT. Ses prunelles blanc pâles plongèrent dans celle bleu cyan de l'inconnue, et elle s'assit gauchement. Bon, elle allait parler, elle?