Histoire
6 Mois
-Quelle est la personne que tu détestes le plus ?
-L’Alpha Saphir : Écume.
-Que voudrais-tu lui faire ?
Elle réfléchit quelques secondes : quel était le pire châtiment à infliger à un Loup qui s’opposait totalement à la suprématie des Rubis ?
-Lui arracher le cœur et le dévorer.
Il sourit.
-Et quelle est la personne que tu aimes le plus ?
Cette fois-ci, elle ne réfléchit même pas, la réponse venait d’elle-même :
-Moi.
La gifle la cueillit en pleine figure et projeta le louveteau qu’elle était un mètre plus loin. Mais elle n’avait pas mal, non, elle était trop habituée à ce genre de chose pour avoir mal. Elle se releva facilement sur ses pattes et se prépara à subir la colère de son père qui montrait les crocs, la queue redressée.
-Combien de fois faudra-t-il te dire que l’orgueil est l’ennemi de la réussite ? !
Un déclic se produisit dans sa tête. Elle se rappelait des autres fois, là où elle avait eu peur et qu’elle s’était résignée à prendre l’autre choix, à dire ce qu’il voulait entendre. La louveteau planta son regard glacé dans les yeux de son père.
Elle n’avait plus peur.
-Tu m’as enseigné que je suis la Prophète, la Louve qui redonnera son éclat aux Rubis ! J’ai été choisie car je suis la plus belle, la plus forte, et la plus cruelle ! Alors ne viens pas me dire que mon ego est démesuré !
Il l’a regarda avec haine, prêt à frapper encore. Mais elle se tenait droit sur ses pattes, elle n’était pas intimidée.
-Tu es encore plus stupide que je ne le pensais !
Le grand loup roux ne pensait pas ce qu’il disait. Au fond de lui, il voyait l’intelligence et la maturité déjà très développées de cette jeune femelle d’à peine 6 mois. Ils se jaugèrent du regard encore un instant, ne sachant que faire. Son père finit par avoir un rictus de haine et cracha aux pattes d’Adraÿa avant de s’en aller. La jeune Louve resta figée un moment, puis s’en alla de son côté à son tour.
10 Mois
Voilà 4 mois que son père ne lui parlait plus. N’ayant aucune mère vers qui se tourner et ayant appris à ne pas s’attacher aux gens, elle continuait une vie monotone, parlant peu, passant la plus grande partie de son temps à s’entraîner et à mépriser les autres louveteaux qui ne pensaient qu’à jouer.
Mais aujourd’hui était un jour spécial : Adraÿa allait enfin accompagner les autres à la chasse … Et tuer. Elle était presque une adulte maintenant. Elle suivit le groupe de chasseurs jusque dans la forêt et chercha son père du regard. Étrangement, il n’était pas là.
Le temps d’un mini-briefing et des recommandations d’usage, Adraÿa partit chasser de son côté, guettant le moindre lapin ou autre rongeur. Qu’est-ce qu’elle aurait aimé s’attaquer à un élan ! Elle aurait ainsi pu prouver sa valeur …
-Hé !
Adraÿa se releva d’un coup, les oreilles dressées. Qui l’avait donc appelée ? On recommença à l’appeler et elle réussit à définir d’où venait le bruit. Elle vit une belle Louve brune avancer parmi les arbres, plus elle se rapprochait, plus Adraÿa arrivait à distinguer sa forme. Elle la connaissait, c’était une Solitaire qu’elle avait rencontrée des mois plus tôt, son père lui avait interdit de la revoir, il disait que c’était une « catin ». La belle Louve blanche n’avait jamais su le sens de ce mot. Instinctivement, elle retroussa les babines : c’était une étrangère, elle n’avait rien à faire là.
-Que viens-tu faire sur le territoire Rubis ?
Hors de son contexte, la scène aurait pu paraître amusante : Adraÿa faisait bien 10 centimètres de moins que la Solitaire. Celle-ci baissa les oreilles en signe de soumission.
-Je ne viens que pour parler avec toi, je ne te veux aucun mal.
-Et qu’est-ce qui me le prouve ?
Adraÿa dévoila encore plus ses crocs.
-Tu n’as que ma parole.
La jeune Louve fixa l’autre dans les yeux, lisant au plus profond d’elle, elle semblait déterminée et ne manifestait aucune peur. Adraÿa tenta le risque. Elle se sépara d’une partie de son agressivité et écouta ce que l’étrangère avait à lui dire …
18 Mois
La Solitaire avait appris à Adraÿa comment charmer les mâles, et ainsi se réconcilier avec son père pour se servir de lui et prouver sa valeur. Cela avait marché, et, pendant plusieurs mois, Adraÿa avait poursuivi des rendez-vous secrets avec la Solitaire.
La Louve blanche se sentait mieux que jamais : c’était comme si elle avait le contrôle de tout. Mais son géniteur devenait plus suspicieux au fil de temps. Adraÿa sentait qu’il faudrait s’en débarrasser.
Elle avait tout prévu dans les moindres détails : d’abord, elle tuerait son père, ensuite, elle allait faire porter le chapeau à la « catin » et la tuer. Ainsi, elle s’attirerait la gloire et se débarrasserait d’une Solitaire qui ne lui servait plus à rien. C’était un bon plan.
20 Mois
Il aura fallu le temps à son plan pour se concrétiser, mais elle arriva à ses fins. Par une nuit d’été, elle convînt son père de venir avec elle dans la forêt, où elle le tua puis le cacha dans un terrier vide en veillant bien à placer quelques indices, tels qu’une touffe de poils bruns.
Une bonne chose de faite.
Adraÿa retourna à sa tanière et s’endormit paisiblement, souriant à la pensée de sa victoire prochaine.
Tôt le lendemain matin, elle entendit des cris, puis quelqu’un qui se ruait vers sa tanière. On lui annonça la mort de son père et elle feignit parfaitement la tristesse, puis la colère quand on lui montra le corps de son père.
-Regardez ces poils bruns emmêlés dans sa fourrure !
Elle se lança dans une longue tirade comme quoi son père avait disparu la nuit dernière et que plusieurs choses semblaient montrer le passage d’une Solitaire dans le territoire Rubis. Après quelques jours, elle rapporta le corps de la Louve qui lui avait tant appris …
Et elle fut couverte de gloire.