Il était la victime et le bourreau. La scène de crime était sa vie, et lui, en fugitif recherchant son meurtrier, galopait dans les bois. Slalomant entre les sapins immenses, il humait l’air à la recherche de sa trace. Un prédateur. Un dangereux prédateur. Il releva les babines en un rictus monstrueux, et redoubla de vitesse. Ses pas se firent plus pressants, mais on ne les entendait en aucun cas marteler le sol. Tel un fantôme, on pouvait croire qu’il volait. A mille lieux aux dessus de wolf temporal. Il l’a sentait. Il allait bien
la rattraper. Il courut encore un moment, et s’essouffla plus vite qu’il ne l’aurait pensé. Avant, il aurait pu courir sur une distance phénoménale, à une vitesse phénoménale. Mais plus maintenant. Pas avec ses os brisés, pas avec ses muscles… Inexistants. Il s’arrêta donc un moment, pour reprendre son souffle. Il savait qu’
elle prenait de l’avance. Mais il s’en foutait, complètement. Parce qu’il
l’a rattraperait bien un jour. A chaque fois, c’était comme ça.
Les bois n’étaient pas très fréquentés ces temps-ci. Personne ne voulait croiser des ennemis, derrière les arbres, dans cet endroit si sombre. Personne, même pas lui, Maytook. Mais vu qu’il n’y avait aucun loup à l’horizon, il était venu. Il reprit sa course, et sentant qu’
elle s’était aussi arrêtée, accéléra dans un dernier élan pour lui
sauter dessus. Il s’écrasa contre le sol, et la biche éclata de rire. Il soupira, et la regarda.
- Ouais, c’est bon, pas besoin de te foutre de moi. J’ai quand même progressé ! Elle lui sourit narquoisement, et repartit. Elle savait qu’il ne fallait pas le craindre. Parce que Maytook, il n’était pas méchant. Il ne tuait pas pour le plaisir. Il tuait juste pour se nourrir, et bien souvent, un petit rat faisait l’affaire. De plus, il ne lui courrait pas après pour l’attaquer, il ne la traquait pas, pour ainsi dire. C’était juste un moyen de se reconstruire, de se reformer un peu de muscle. Ses os étaient encore fragiles, il fallait les endurcir. Il fallait redevenir comme avant. Il se releva gauchement, et s’étira. Comme avant. Il n’avait pas toujours été un loup androgyne, dépourvu de muscles, à la fourrure terne et imbibée de sang. Il avait été un beau loup, avant. Mais il était tombé dans ce trou, ce stupide gouffre. Ses os s’étaient brisés, ses pattes étaient devenues inertes, le sang avait giclé. Cric crac. Dommage. Alors à présent, en ces temps durs, il devait se reconstruire, le plus dignement possible. Il reprit sa marche, un peu, il s’arrêta pour boire, un peu aussi. Il revivait. Ressuscité. Son souffle s’était rétablit, heureusement, et c’est presque serein qu’il fit face à ce nouvel obstacle. Au détour d’un sentier ce tiens une louve. Il vieillit, Maytook, il n’a toujours pas sentit son odeur. Une odeur de clan, de meute. Une odeur de prison, le genre de truc qu’il déteste par-dessus tout. Elle était toute seule, un semblant de liberté, sûrement.
Elle grogne. Pourquoi ? Il n’est pas bien imposant, ce loup roux. Il ne ferait pas de mal à une mouche, juste au cœur d’une femelle – Dommage pour elle. -. Ou à lui-même. C’était le pire. Ce faire mal à soit, et ne pas s’en rendre compte. Il souffre en silence Maytook, il fait croire que les mots, il s’en contrefout. Il fait croire que ses maux à lui, il les à oublier. C’est faux, c’est totalement faux, mais il continue, parce qu’il n’y a que cela à faire. Il s’arrête à une vingtaine de mètre, et entend les oiseaux s’envoler. Des corbeaux. Un piaf qui pourrait faire plus de dégât que lui. La louve attend, elle semble vouloir qu’il se présente. Il ne veut pas, lui. Pourquoi se présenter ? Pourquoi prendre en considération une personne qu’il ne reverra plus jamais ? Elle attend, attend, attend, il l’a regarde, regarde. Regarde. C’est étrange, ce manège, mais il aime ça. C’est reposant, ça calme. Il n’est pas obligé de se donner des excuses, de prendre la parole. Il n’est pas obligé, non. Il peut même rebrousser chemin, et se barrer illico. Il ne le fait pas. Il reste là, loup dépenaillé, étrange miracle de la nature, survivant aux mille cicatrices, devant cette jolie louve aussi blanche que la neige, un semblant d’agressivité sur son visage.