Le soir tombait, répandant sa fraîcheur nocturne mêlée au doux froid du printemps. Les odeurs corsées qui émanaient de la forêt firent frémir la louve noire qui se délectait de ses effluves, à ses yeux, aphrodisiaques et qui n'étaient pas sans lui rappeler, par courts instants, les vastes étendues d'arbres de sa terre natale où elle se plaisait à courir à en perdre la tête avec ses frères et sœurs. Maintenant, elle se retrouvait seule, à une distance inimaginable des siens, qu'elle ne reverrait, à n'en pas douter, jamais. Jamais. Elle courba l'échine, comme si elle s'avouait vaincu par la divinité malveillante qui avait voulu qu'ils soient séparés. Le Destin. Le cruel Destin. Pourquoi elle et pas un autre ? Cette question, elle se l'était posée moult fois et pourtant, rien n'avait changé. Elle se retrouvait toujours sur ces terres, loin de chez elle, loin des siens. Loin de la meute qu'elle aurait du diriger, à la mort de son père. Loin de la meute qu'elle avait abandonné à un tyran qui n'avait eu aucun scrupule à tuer, faire couler le sang, et faire souffrir, par-dessus tout. Cersei avait porté en elle tout le poids de ce supplice qu’elle subissait sans rechigner. Elle ne se plaignait jamais, elle encaissait sans mot, résistante. Mais il y avait une certaine limite et un jour, elle la franchit enfin. Le dominant qui régnait était un personnage pervers, vil et profiteur. Il traitait la jeune louve comme une moins que rien, mais jamais il n’abusa d’elle pour assouvir ses envies. Jamais car Cersei osa enfin protester lorsqu’il tenta de le faire.
La suite restait confuse dans son esprit, seuls lui revenaient certaines bribes de son passé douloureux qu'elle tentait pourtant de fuir. Amnésique, elle l'était sûrement. Elle avait tentait tant bien que mal de se reconstruire une vie qui pouvait avoir un quelconque intérêt mais sans grand succès. Elle était condamnée à vivre dans l'ignorance et dans l'oubli, sans rien savoir de son passé, sans même se souvenir de ses défunts parents. Sans même se souvenir qu'elle aurait pu mener une vie bienheureuse à la tête de sa meute, dans ces terres natales qu'elle aurait volontiers regretté. Si seulement sa mémoire ne lui avait pas fait défaut. Oh oui, si seulement.

Les foulées amples, le rythme régulier, Cersei finit par se mettre à courir. Son cœur palpitait avec entrain dans sa poitrine tandis qu'elle accélérait, encore et encore. Jusqu'à ce qu'on entende seulement le martèlement de ses puissantes pattes sur le sol. Débauche d'énergie et de vigueur, explosion de force. Courir et sentir ses membres s'épuiser. Courir et sentir son souffle se faire de plus en plus rauque, profond. Courir, se jetant à corps perdu dans la course, les veines palpitantes et le cœur sur le point de se fendre en deux. Le désir de revoir un corps masculin, puissant et chaleureux était plus fort que de raison. Et son instinct était infaillible. C'est ainsi qu'elle arriva sur les terres de la meute qu'elle avait décidée de rejoindre, faute de ne pas supporter d'être solitaire, se trouvant ainsi impuissante et vulnérable. Les Améthystes. Sa nouvelle famille, à présent. Son nouveau chez-soi. Elle avait su trouver sa place et son rang, qu'elle affectionnait par dessus-tout. Assassine. Les crocs prêts à se planter dans une chair fraîche et juteuse. Tendre et douce. Dégoulinante de sang d'un rouge sombre. A cette seule pensée, un frisson la parcourut. Frémissement qui fit naître en elle un tourbillon de sensations toutes plus étranges les unes que les autres. Tout son être vibrait des battements incessants de son cœur qu'elle ne pouvait contrôler. Désir, passion, et la folle envie de se nicher contre un mâle insouciant, avant de le faire tomber dans les mailles de son filet. Cruelle vipère qu'elle était et qui, pourtant, cachait admirablement bien son jeu. Nul n'aurait pu le contester.

Et soudain, elle perçut un trouble en cette belle nuit. Elle se sentait faible, vulnérable mais tenta de ne pas y prêter attention. Un trouble pesant qui distillait en elle des émois qu'elle n'avait jamais, ô grand jamais, ressenti de toute sa vie. Poussant un long soupir, elle rumina de sombres pensées, assise en face du lac où stagnait un liquide qui s'apparentait à celle de l'Améthyste, d'une couleur violette ou pourpre, elle n'aurait su faire la différence. Les sens de la louve au pelage d'ébène étaient parfaitement aiguisés et elle savait bien qu'un inconnu s'avançait vers elle, malgré la profonde noirceur de la nuit. Une lueur démente brilla dans son regard d'émeraude alors que ses muscles se tendaient, prêts à attaquer en cas de besoin. Seul un halo argenté éclairait l'étrange lac devant lequel se tenait Cersei. Cette dernière se releva, droite et immobile, se confondant parfaitement avec le paysage. L'odeur continuait de se rapprocher : l'inconnu devait avoir senti la sienne. Ses muscles finement ciselés tressaillirent sous sa fourrure d'un noir intense tandis qu'elle tenait de contrôler les battements de son cœur et sa respiration qui se faisait de plus en plus rapide. Un frisson qui parcourut son corps tout entier pendant un instant, qui se mit à faiblir et qui disparut totalement. Réflexes d'assassine, avec une agilité hors norme, telle un félin, elle se préparait à bondir sans plus tarder sur son adversaire, quand il arriverait, si jamais celui-ci décidait de l'attaquer. Mais quelque chose, elle ne savait pas quoi, lui disait clairement et fermement de rester là où elle était, de ne pas se tapir dans l'ombre des arbres. Le loup arrivait. Trop tard, il l'avait déjà aperçue, sans doute. Elle ne pouvait plus reculer.