J'avais quitté ma meute depuis plusieurs lunes déjà, mais je savais que je ne pouvais pas survivre seul. Alors j'étais rapidement parti à la recherche d'une nouvelle meute. C'est de cette façon que je suis arrivé ici, où j'ai intégré une meute que l'on appelle Saphir. J'ai entendu dire que les loups de cette meute étaient très courageux et c'est ce qui m'a poussé à y entrer. je ne veux pas me battre aux service d'un poltron.
Après quelques heures sur mes nouvelles terres, j'ai décidé de m'arrêter ici, devant une magnifique cascade qui me donne des rêves d'évasions. Je sais, je ne devrais pas déjà penser à m'évader. Mais je n'y peux rien, je suis un solitaire, et le nombre de loups que j'ai déjà croisés, sans éveiller leurs soupçons sur ma présence, me tapent d'avance sur le système. J'espérais trouver une meute moins grande et finalement ce sont cinq meutes entières que je découvre et j'apprends que celle dont je fais partie est censée se battre avec les autres pour agrandir son territoire.
J'adore me battre, j'aime sentir les os craquer sous mes mâchoires, j'aime goûter le sang de mes victimes, le sentir couler sur ma fourrure. Mais je déteste la communauté et ici ils sont vraiment nombreux. Je n'ai pas encore trouvé ma place et étant plutôt discret, sauf quand je me bats, ils ne devraient pas me remarquer trop vite. Mais j'aime savoir qu'il y aura au moins un endroit où je serai en paix lorsque l'air de la meute me deviendra trop insupportable.
Et c'est ici, devant cette belle cascade, que je décide dès à présent de me vider l'esprit.
Après avoir profité de l'eau fraîche, je décidais de m'installer à moment face à la chute d'eau pour la contempler dans le silence de la forêt alentour.

Alors que je me reposais depuis à peine quelques minutes, une ombre noire passa près de moi et sauta à l'eau avec peu, pour ne pas dire aucune, discrétion. L'inconnue nagea un peu et fila entre les arbres. Je ne fit pas attention à elle, jusqu'à ce qu'elle se jette sur moi et me plaque à terre. Sur le dos, une louve plus que charmante flanquée au dessus de moi, je m'immobilisa un instant, sans aucune peur.
Je la fixais un long moment dans les yeux, elle me lança un sourire sadique. Je ne dis rien, mais n'en pense pas moins... Cette louve n'est pas que charmante...
Tout d'abord je lui lança un air désintéresse, et tourna le regard derrière, l'air faussement ennuyé.
Puis, alors qu'elle ne semblait pas s'y attendre, je la propulsais dans les airs grâce à mes postérieures. Je me relevais par la même occasion, sans la quitter des yeux. Elle ne me connaissait pas et m'avait tout de même sauté dessus. C'était donc une louve qui croyait en ses moyens. Mieux valait pour moi ne pas la sous-estimer. Pour l'instant...
Debout et haut sur mes pattes, je redressais la tête et portait haut ma queue, toujours en la fixant.
J'attendis qu'elle se relève à son tour: je suis un combattant certes, mais pas un lâche, je n'attaque jamais un loup à terre.

A peine relevée, elle s'ébroua en grognant. Je n'eu pas le temps de comprendre, qu'elle me sauta encore une fois dessus. Cette fois elle visa ma gorge et me blessa profondément. je sentais mon sang fuir l’épaisse protection que formait ma peau. Alors qu'elle avait une bonne prise, elle me lâcha soudain. Je ne cachait pas mon incompréhension. Quelle peut bien être sa façon de combattre? Elle me surprend, m'attaque et me lâche?
Selon moi, cette louve manque de logique. Mais une question trotte dans ma tête. Est-elle de ma meute? Ou une étrangère clandestine?
D'un côté, j'espère qu'elle est de ma meute, parce qu'honnêtement, je la trouve ravissante, et pleine de caractère. Mais d'un autre côté, je serai ravi de combattre une louve comme elle.
Alors que je réfléchis silencieusement, sa voix me sort de mes rêveries.

-Désolée, je ne voulait pas te faire ça, si je t'es déranger eh beh, je m'en vais !

Je la regardais alors, incrédule. Elle semblait perturbée par ses propres paroles.
Je ne la connaissais pas, mais en la regardant à cet instant, une envie irrésistible monta en moi. D'un léger bond en avant, je m'approchais d'elle et la poussais sans ménagement dans la poussière.
Aussitôt je me figeais, le regard rivé à elle. J'attendis qu'elle se relève une nouvelle fois, mais avec un sourire.
Sans un mot, je l'invitais au jeu.
Je ne me comprenais pas moi-même, mais j'en mourrais d'envie.

Par chance, l'inconnue répondit positivement à mon invitation. Elle me bascula sur le côté à plusieurs reprises et finit par me mordiller les oreilles. Étrangement, je me sentais plutôt bien. Dans d'autres circonstance, j'aurais tué mon assaillant aussi vite qu'elle était arrivée. Mais elle, et, son regard...
Bref!
Après un long moment, la chaleur sembla commencer à l'insupporter. Elle m'invita à la rejoindre dans l'eau, mais avant que j'y trempe ma première patte, elle en ressortit en grelottant. Elle riait aux éclats, ce qui déclencha en moi une chaleur que je connaissais pas. Elle se secoua près de moi, inondant littéralement mon pelage. Sans réagir je sourit, mon regard toujours fixé sur elle.
Je la regardais se rouler dans la terre, elle se releva pleine d'une poussière qui se transformait en plaque de boue au contact de son pelage mouillé. Son allure avait changé du tout au tout, mais je ne pouvais m'empêcher de la trouver toujours plus ravissante.
Elle cessa finalement son rire cristallin et leva la tête vers un vol d'oiseaux. Dans cette position, je la trouvais encore plus jolie, perdue dans ses pensées, inaccessible...
Elle n'avait déjà plus l'allure de la tueuse que j'avais rencontré quelques minutes plus tôt, et cela me plaisais.
Je m'approchais d'elle, toujours sans un mot, et contempla avec elle l'immensité du ciel.
J'étais bien loin de regretter mon arrivée sur ces terres...

La présence de cette louve me rendait serein. Je ne m'étais pas senti aussi bien depuis très longtemps.
Elle m'incita à la suivre autour de la cascade, puis sa voix vint chatouiller mes tympans.

-je veux en savoir plus sur toi, déjà comment tu t'appelle?

Une chose est sûre, cette femelle n'y va pas par quatre chemins. Et je dois dire que la franchise est une qualité qui me plait.
Pour la première fois depuis tout ce temps, ma voix résonna entre les arbres, particulièrement grave mais calme.

- Je suis Daeron.

Je lui lançais un sourire empreint de fierté avant de poursuivre:

- Mais tu peux m'appeler le Tourmenteur.

S'il y a une chose en ce bas monde dont je sois particulièrement fier, c'est mon nom, et sa traduction elfique. Je ne la cache à personne, parce qu'elle me décrit parfaitement et que je le porte avec honneur. Il n'est pas dans mon habitude de poser des questions, aussi je restais silencieux, attendant qu'elle se présente à son tour.

-Moi je suis Luna. Nourrice des Rubis. Et toi tu es?

J'étais quelques peu étonné d'apprendre qu'elle n'étais pas de ma meute, et par conséquent hors de son territoire. Mais elle ne représentait pour l'heure aucun danger pour mes Alpha, et mon rôle était de les protéger eux. Je n'avais donc aucune raison de la mettre en pièce.

- Je suis gardien des Saphir.

Je me demandais alors quelles raisons l'avaient poussée à rejoindre une telle meute. Probablement était-elle mauvaise, tout comme moi. Note pour moi-même: elle pourrait très bien avoir choisi sa meute pour les loups présents, et non par rapport à son propre caractère.
Sortant tout juste de mes pensées, je remarquais seulement le silence pensant qui s'était installé autour de la cascade, et je sentis par la même occasion, le frottement du pelage de Luna contre le mien. Je ne la regardais pas, ignorant de ce fait si elle avait remarqué, et sa réaction au quel cas.
Mais cette proximité ne me dérangeait pas, aussi je restait dans la même position, ne cherchant à mettre aucun écart entre elle et moi.

Une scène s'ensuivit que je ne comprit pas tout à fait. Elle tomba sur le dos et me regarda un instant, puis sa patte se mit a saigner après avoir été prisonnière des buissons épineux.
Après cela, sans un mot elle s'éloigna et se coucha à l'abri du soleil, sous un arbre. Je la regardait faire sans bouger, elle m'ignorait totalement.
Puis elle se leva et retourna nager pour ressortir trempée mais propre. L'eau prit la couleur de son sang pendant quelques instant, puis le liquide se dissipa dans les remous de la cascade. Alors qu'elle venait de rejoindre la terre ferme, je m'approchais et lui intimais d'un regard de lever sa patte pour que je lui retire les trois épines qui la faisaient souffrir. Elle me fixa de ses yeux azur avant de parler.

-Tu ne m'en veux pas? d'être une louve d'une autre meute?

Je m'arrêtais dans mon élan et redressa la tête vers elle pour plonger mon regard dans le sien. Je lui donnais un sourire franc avant de lui répondre.

- Si je t'en voulais, tu serais morte. Maintenant donnes-moi ta patte si tu veux de mon aide.

Je me surprenais moi-même à être aussi amical envers une parfaite inconnue, mais que voulez-vous, pour une raison que j'ignore, cette louve me plait.

Lorsque je l'eut soulagée, Luna me remercia d'un affectueux coup de langue sur la joue. D'abord surprit, je la laissais faire sans rechigner. Un bruit sourd se fit entendre, et je comprit bien vite qu'elle avait faim. Nous remarquâmes un cerf se désaltérant près de la cascade, mais avant que j'ai le temps de faire le moindre mouvement, Luna était partie comme une furie pour s'attaquer à la pauvre bête.
Je me passionnais à la voir en action. Elle faisait du mal à l'animal et semblait prendre plaisir à le faire, ce qui était tout à fait moi...
Alors qu'elle venait d'attraper le cerf à la gorge et qu'elle s'amusait à le faire souffrir au lieu d'attendre sagement qu'il s'étouffe, je me disais qu'elle devait être une redoutable chasseuse, et qu'une réelle partie de chasse avec elle me plaisait sûrement beaucoup. Lorsqu'enfin la vie eut quitté la proie, Luna la traîna près de moi et m'invita à manger avec elle. Je ne refusais pas un bon morceau de viande si plaisamment tué et encore moins après notre rencontre animée.
C'est en se rassasiant qu'elle me posa une nouvelle question.

- Quel est ton passé? comment as-tu vécu?

La gueule pleine, je ne répondit pas tout de suite, savourant la chair fraîche et réfléchissant à mes paroles par la même occasion. Que lui dire de ma vie? j'avais passé mon enfance seul, rejetant mêmes ma propre fratrie. J'avais tué ceux qui avait été mes frères et soeurs, et j'avais même volé la vie de ma propre génitrice.
Alors que mes réflexions m'avaient remporté dans le passé, je réalisais que je n'avais laissé que sang et malheur sur mon passage. Et... Cette idée me plaisais... Sortant de mes pensées, j'avalais ma dernière bouchée avant de prendre la parole.

- Eh bien... Que dire? En résumé, j'ai tué ma famille en prenant soin de laisser mon père en vie. Fallait bien que quel'un en souffre, sinon ça n'aurait pas été drôle.

Je me tut alors, espérant qu'elle ne bannirait pas ce côté de ma personnalité, puisqu'il était le plus développé chez moi.

Sans la moindre explication, Luna se leva et partit. je ne comprenais pas sa réaction. je la regardais s'en aller. Elle entra dans une grotte dont je n'aurais pas moi-même soupçonné l’existence. De l'extérieur, j'entendais la louve sangloter tout bas.
Dans un soupir je me levais et m'avançais doucement. D'abord inquiet pour elle, je m'apprêtait à entrer pour m'excuser. Mais je ne suis pas de ce genre. Je suis Daeron, le Tourmenteur. Je suis incapable de m'excuser. Pendant ces quelques heures passées en sa compagnie, j'avais eu l'impression d'être quelqu'un d'autre. Mais sa réaction à l’énoncé de mon passé me fit revenir à la réalité. Je n'étais pas fait pour avoir des amis. Après tout, je venais moi-même de le dire, j'avais exterminé ma famille de mes propres crocs. Comment avait-je pu imaginer faire d'elle, une étrangère à ma meute, mon amie?
Tout à coup, je me sentais stupide.
Ma patte avant était restée en suspens alors que je m’apprêtais à la rejoindre. Je la reposais à terre et faisais demi-tour en silence, la rage au coeur. Mon visage en disait long sur ce que je ressentais. J'étais en colère, vraiment fou de rage.
D'un violent coup de patte je jetais à l'eau ce qu'il restait de la carcasse du cerf.
D'un pas lourd, la violence dans le regard, je m'éloignais de la grotte, et de cette louve qui me rendait si... Étrange...

A quelques mètres de Luna, je la regardais. Elle ne me voyait pas, j'étais derrière la cascade. Mais sur le côté de la chute, je gardais un oeil sur elle, incapable de la laisser là. Si un autre loup de ma meute rappliquait, il n'hésiterait probablement pas à l'attaquer, ne la connaissant pas. c'était d'ailleurs ce que j'aurais dû faire dès la première seconde. C'était mon rôle. Mais je n'en n'avais pas été capable.
Si mes Alpha l'apprenaient, je pense que je risquerais gros. Malgré moi, lorsque je la regardais, je me sentais prêt à endurer n'importe quelle souffrance pour ne pas la perdre.
A cet instant je m'en voulais de ressentir cela alors que j'étais un meurtrier dans l'âme. Mais pourquoi avait-elle réagit de cette façon? Il faut savoir! Elle aime faire souffrir ou pas!? Je ne comprenais vraiment pas.
Derrière la chute d'eau, elle venait de sortir de sa grotte et de s'installer sous un arbre. Je remarquais que sa patte saignait toujours, et pensais alors que sa blessure risquerait d'attirer les membres de ma meute. Il fallait qu'elle parte avant d'être repérée, mais je ne me sentais plus la force de marcher jusqu'à elle.
Je souffrais en silence, ne comprenant ni ses réactions, ni les miennes.

Pendant un instant, j'ai cru qu'elle viendrait à moi. Je sais bien que c'est ma faute. Que je devrais m'excuser et la consoler. Mais j'en suis incapable. Je n'ai jamais fais ça de ma vie. Je la regarde s'éloigner. Je ne sais pas si elle à juste besoin de calme, ou si elle compte repartir.
Je plonge dans mes réflexions, me disant que notre rencontre n'a tenu qu'à un fil et que j'ai peut-être gâché une amitié qui aurait pu naître. Je repense alors au jour où j'ai détruit ma famille. je me souviens de chaque goutte de sang, de chaque louveteau que j'ai massacré. je me souviens du regard de ma génitrice lorsqu'elle à découvert ses petits du printemps. Je me souviens de la terreur de ses yeux, de sa déception.
Après le court instant où nous avons échangé nos regard, j'ai fait mine de partir. Elle se tenait entre la sortie de la tanière et moi-même. A l'instant où je suis passé près d'elle, j'ai attrapé sa nuque et l'ai envoyée violemment contre les parois de la grotte. J'ai entendu son gémissement de douleur et d'indignation, et à ce son j'ai souris.
La terreur se lisait dans ses yeux. Elle savait que j'allais la tuer et elle n'a pas cherché à éviter son sort. Je me souviens du goût de son sang, je me souviens de chaque morsure que je lui ai portées, chacune d'elle à un endroit précis, pour la faire souffrir avant de l'abandonner, agonisante. Elle n'avait alors plus aucune chance de se remettre et je l'ai regardé rendre son dernier soupir.
En un instant, je revins à la réalité. Luna étais toujours là, dehors, s'éloignant silencieusement. j'avais aimé faire souffrir ma famille. j'avais aimé les détruire par moi-même.
Mais Luna...

- Luna!

Sans en prendre conscience, j'étais sortis de mon abri. Je me tenais là, droit et fier, l'air déterminé et prêt à tout pour arriver à mes fins. Mais lorsqu'elle se retourna, lorsque son regard entra dans le mien, je me sentis perdre mes moyens. Mon courage s'envola, ma fierté m'abandonna et ma dureté se terra dans un coin de mon esprit. Tel un louveteau timide, mes yeux fuyaient les siens, regardant partout sauf vers elle. Je baissais la tête vers le sol et fixa le sable, cherchant mes mots et mon cran.

OUT?