Sa place n'était pas ici.
Et il le savait très bien. Le solitaire maigre, roux, assis près du lac aux eaux pourpres n'avait rien à faire sur le territoire Rubis. En fait, il n'avait rien à faire nulle part. Mais, en général, il fallait se lever de bonne heure pour parvenir à chasser Eléazar de là où il voulait rester.
Il regardait le lac. Mais à qui appartenait tout ce sang? Pourquoi n'avait-il pas coagulé? Même au cas où le plan d'eau était réapprovisionné en hémoglobine tous les jours, le fond du lac aurait normalement dû être formé d'une croûte brune. Or non. Ce lieu recelait peut-être une sorte de magie... Eléazar haussa mentalement les épaules, car il n'aimait pas les mouvements inutiles. En l'espace de trois ans de vie, il avait assisté à la mort de ses parents, vadrouillé sur une grande partie de Wolf Temporal, perdu sa compagne et été traqué par ses deux frères sanguinaires.  A ce stade, il n'était pas impressionné par cette petite flaque rouge.
  Il regardait ce fluide visqueux, écarlate, qui avait appartenu à des centaines de loups qu'il ne connaissait pas.
 Le ciel était bleu foncé, rosâtre à l'horizon. Le soleil amorçait sa descente, pas encore tout à fait rouge, emmitouflé de nuages rose buvard. Peu importait le nombre de fois où il verrait, tous les matins et tous les soirs, le même ciel. Ses couleurs, ses motifs, n'étaient jamais les mêmes, mais toujours dix fois plus beaux qu'une toile de maître. Au loin, une lueur orangée apparaissait, lentement, apportant les premières étoiles de la soirée qui scintillaient, glacées.
 Un bruit de pas se fit entendre derrière le loup-chat, ce qui l'arracha à sa contemplation.
Qu'est-ce qu'il y a, encore?