La nuit mouvementée ne t'avais laissé aucun répit. Pour une multitude de fausses alertes, tu t'étais déplacée dans le noir, usant de tes sens - spécifiquement l'ouïe et l'odorat - afin de te repérer dans ce noir complet. effectivement, ce soir, nulle Lune ne venait orner le ciel de sa majestueuse et fantomatique parure. C'était la Lune Noire. Et, comme chaque mois, tu attendais ce soir avec une impatience mal contenue. Tu ne croyais pas aux diverses superstitions sur cette nuit d'ébène, non. Tu appréciais simplement le fait de pouvoir te fondre entièrement dans le paysage, de ta couleur sombre, rien ne se devinait. Pas même le contour de tes oreilles. C'est en ombre furtive que tu traversas donc le Champ. Il ramenait directement à la Tanière de ton clan, là où tu pourrais enfin te reposer tout en veillant, toujours à ton poste. Il est vrai, que de s'être déplacée ainsi mettait la nouvelle Alpha dans une position fragile, mais, sachant que cette dernière serait constamment entourée, tu l'avais laissée sans ta protection quelques heures. Il était temps pour toi de rentrer, la "récréation" était terminée. Le sol humide, qui rassemblait à chacun de tes pas quelques amas de terre, couinait légèrement sous ton poids. Il faut dire, que pour une louve, tu es large. Possédant bien plus de muscles que la moyenne de la gent féminine, tu te faisais régulièrement confondre avec un mâle, de loin. Non que cela te dérange, tu trouvais même ça intéressant et exploitable, suivant comment. Après tout, tu avais mis plus d'un loup au tapis et profitait de la naïveté que tu inspirais pour provoquer les pires blessures. Peu osaient combattre une femelle, de peur de lui infliger de trop grandes douleurs. Mais, à chaque confrontation - loyale, soit dit en passant, car jamais tu n'acceptais de te confronter à moins fort que toi - tu mettais dès le début les "points sur les i" et donnais tout ce que te permettaient tes flancs et tes tripes. Que ce soit contre une autre femelle ou un gros loup. Un souvenir afflua à ta mémoire, provoquant un de tes rares sourires : ta première rencontre avec Arès. Lui et toi vous étiez un instant haï, du moins toi avais-tu été un peu vache avec ce Solitaire qui t'étais encore inconnu. Et puis, comme par enchantement, il t'avais attirée. Serait-ce parce que vous étiez presque semblables ? Déjà rien que par vos prénoms, qui pour toi n'étais qu'un surnom, vous aviez quelque chose de similaire. Dans votre attitude, aussi. Calme avant la tempête, qui menaçait de se déclencher violemment à tout moment. Votre valeur prouvée aux cours des affrontements, aussi. Tellement de choses, si précieuses à tes yeux.

Contournant une fois de plus un épi trop épais pour qu'il s'écarte sur ton passage - étonnant de voir à quel point les terres Emeraudes étaient prospères en ce début de printemps -, tu laissas un soupir las t'échapper. Mais tout avait été détruit. Un Rubis t'avais fait une portée bien contre ton gré, et, affublée de loupiots, tu n'avais pu le revoir avant il y a de cela quelques semaines. On te voyait comme mère indigne, irresponsable. Les Nourrices Emeraudes dardaient leurs regards chargés de reproches sur ta carcasse, que tu traînais inlassablement aux côtés de Kerena. Et oui, en plus d'avoir failli à ton devoir de protection envers Enkara, Snow Black et leur progéniture, tu étais incapable de t'occuper de tes propres loupiots. Tu aurais pu leur gronder à la truffe, leur faire regretter leur attitude méprisante. Mais, elles avaient raison. Et, plus que combattive, tu étais une femelle sage et réfléchie. Auparavant, tu aurais pensé être digne des Emeraudes. Et maintenant ? Maintenant que tout devenait encore plus catastrophique, que tout s'écroulait ? Maintenant que tes repères les plus ancrés s'en étaient allés, que ta perception du monde avait changée ? Maintenant que tu ne te sentais plus à la hauteur, maintenant que le regard des autres te pesait, maintenant que tu doutais, qu'allait-il se passer ? Tu avais beau croire en tes compétences, est-ce que les autres loups de ton clan y croyaient encore, eux ? Est-ce qu'ils seraient prêts à prendre le risque de te laisser encore cette place, que tu avais amplement méritée par le passé ? Seraient-ils prêts à croire de nouveau en cette louve sombre au regard orageux ? Comme ils l'avaient presque tous fait auparavant ? Rien n'était moins sûr. Mais, tu ne lâchais pas pour autant ce à quoi tu avais toujours aspiré : servir une noble cause. Les Verts avaient suffisamment d'importance à tes yeux pour que tu combattes pour eux jusqu'à la fin.

Te tirant de tes réflexions moroses, un craquement se fit entendre, résonnant étrangement entre les épis de maïs, de telle sorte que tu ne saches d'où provenait le bruit, et donc, un possible danger. Sur la défensive - si cela avait été un des loups de ton clan, tu aurais d'ores et déjà reconnu son odeur -, tu lâchas un grondement semblant venir d'outre tombe et le laissas prendre de l'ampleur.

 Trap

HRP:

Tu n'étais pas du genre à montrer quelconque émotion. Que ce soit de la peur, de la tristesse ou encore de la joie, nulle n'arrivait à percer ton masque implacable qui cernait tes traits depuis des années déjà. La confrontation possible avec un inconnu sur tes terres te faisait trémousser d'avance, attisait ton excitation et tendait tes muscles. La présence se fit plus tangible, s'accroissant à mesure qu'elle se rapprochait. Le vent, qui ne tenait apparemment pas à s’infiltrer entre les épis de maïs, se contentait d'en animer les pointes qui visaient le ciel noir ébène de leurs bouts ronds et inoffensifs. L'apparente absence de réaction de ta part ne signifiait pas que tu ne te tenais pas sur tes gardes. Et oui, au cours de ta vie, moult péripéties avaient été semées sur ton chemin sinueux. Une existence qui, jusque-là, avait été laborieuse, n'attendait encore qu'un dénouement heureux. Mais, rien n'était moins sûr. Qui souhaiterait t'offrir, en ce monde, une fin légère et appréciable ? Toi qui ne savait même pas où se trouvaient tes propres louveteaux. La chair de ta chair pouvait être en danger que tu serais incapable de les secourir. Rien ne t'empêchait d'aller les retrouver maintenant, si ce n'est la servitude que tu voues aux Emeraudes. Et, tu dois bien l'avouer, la peur d'être rejetée. N'ayant pas pour habitude d'aller vers les autres, ces derniers se gardaient bien, cependant, de t'approcher. Tu y trouvais un juste milieu, te mêlant avec équilibre aux loups de ton clan. Avant de devoir porter en ton sein une progéniture que tu rejetterais par la suite. Ta gestation n'avait été que le début d'une longue file de problèmes et tragédies. La mort des Alphas et la majorité de leurs Héritiers avaient disparus ou avaient rendus l'âme. Au cœur de cette nuit noire, tu réalisais à quel point tout s'était écroulé, plus rien de solide ne t'entourait. Chose futile qu'était le soutien d'un clan, lorsque ce dernier se retrouve mêlé aux conflits et déchiré par des changements brutaux et des nouvelles sanglantes. Non, en ces temps, il ne fallait compter que sur soi et personne d'autre. Aussi, il te faudrait encore un bout de temps avant d'aller revoir tes petits. Ils devaient avoir grandi...

L’intonation et le son de sa voix furent comme un déclic. Tu n'eus pas besoin de croiser son regard de braise pour savoir à qui tu avais affaire. La silhouette athlétique se découpait difficilement sur le fond sombre de la végétation qui vous entouraient. Pourtant, tu sus de suite qui étais là et que non, il ne t'était pas inconnu. La surprise était grande, tellement tu ne t'attendais pas à le croiser ici et encore moins maintenant. Mais, malgré cela, tu gardas ton air d'une implacable rigidité tout en jaugeant Arès.

Comme retrouvailles, on aurait pu imaginer mieux. Néanmoins, tu restais la louve sombre que tu étais : pas un poil démonstrative et froide. Glaciale, même. En compagnie d'un être cher ou non. Sur ce, tu tournas les talons et marchas en direction du sud. Tu connaissais ces terres par cœur, et, savais te repérer en tout temps sur celles-ci. C'était comme si les ondes que dégageaient les terrais Verts te guidaient. Il était clair que cette meute et ces lieux étaient faits pour toi. Quoi qu'il advienne, jamais tu ne lâcherais ce clan qui t'avais pourtant tant apporté par le passé. Rien que pour la mémoire d'Enkara et de Snow Black, tu te devais d'y rester.