L'herbe jaunie par le soleil brûlant pliait sous les sabots d'une bête, qui passait sereinement, toute garde baissée, cherchant simplement de quoi nourrir son ventre affamé. C'était un daim, vigoureux, en parfaite santé, mais qui s'était malencontreusement écarté du chemin qu'empruntait le reste du troupeau. Autant dire que c'était une véritable aubaine pour le chasseur fatigué qui les suivaient depuis toute la matinée déjà. Faustin était connu pour être un lupin fainéant et lourd, mais lorsqu'il le voulait vraiment, il était capable d'accomplir de véritables exploits. La patience avait toujours été son fort, a vrai dire. S'il avait mis tant d'efforts dans cette chasse, c'était pour ses enfants. En fait, Ruby l'avait prévenue qu'ils devaient tous revenir, il y a de cela déjà plus d'une heure. Mais, lorsqu'il était arrivé a la Tanière ou elle avait accouchée, qu'elle n'avait été sa déception de n’apercevoir personne dans les environs. Plus tard, Ruby lui avait déclaré que finalement, elle n'était parvenue a retrouver aucun de leurs rejetons. Bien qu'il le cache sous un sang-froid remarquable, il était un peu inquiet. Ils avaient bien grandis, depuis la dernière fois, mais tout de même pas assez pour survivre contre d'autres loups plus expérimentés. Il savait qu'il pouvait compter sur Hélios pour défendre sa fratrie, mais là était le problème. S'il était le seul a combattre, il trépasserait rapidement. Et les autres avec lui. 


Le bruissement de l'herbe sous les pattes de sa proie le ramenèrent a la réalité, et attentif au mouvement des muscles de la bête, il la contourna lentement pour s'assurer de se retrouver dans son dos, dans la direction opposée a celle d'ou le vent soufflait. Si l'herbivore sentait son odeur, il s'enfuirait, et il pourrait oublier le délicieux repas du soir. Rampant plus que lentement dans les herbes hautes autour d'eux, il s'aplatit ventre a terre, ses prunelles sanglantes ne lâchant pas d'une seule seconde le derrière de l'animal, qui continuait a brouter sans se douter du destin tragique qui l'attendait. Le lupin se ramassa un peu plus sur lui-même, relevant seulement ses pattes arrières pour prendre de l'élan, se préparant a sauter sur le daim tranquille, dont la queue se secouait de temps a autre, chassant les mouches qui s'installaient sans cesse sur sa peau. Finalement, sûr de lui, le mâle fit un bond en direction de l'animal, pour atterrir juste sur sa croupe, ses dents s'enfonçant comme dans du beurre dans sa peau, arrachant déjà la chair qu'il y trouvait. Paniqué, l'animal releva soudainement la tête, et rua plutôt brusquement, surprenant l'Assassin, qui retrouva durement le plancher des vaches. Et en attendant, sa proie blessée se faisait la malle, malgré que ses pattes arrières tremblent et semblent prêtes a s'écrouler sous son propre poids. Sonné, Faustin n'eut pas le temps de se relever et de reprendre ses esprits, que déjà, une boule blanche vive fonçait dans les pattes du daim, pour le projeter au sol.

HRP:

La boule blanche qui venait de s'en prendre au daim finit par l'achever, en rompant de ses crocs tranchants son cou humide d'un léger voile de sueur. Essoufflé et plutôt impressionné par la rapidité de mouvement de l'inconnue, Faustin se releva avec difficulté, grognant contre ses genoux tremblants et craquant de toutes parts. Il fallait dire que ça ne l'arrangeait vraiment pas de vieillir. La boule blanche qu'il avait au départ pris pour un énorme lapin - si si, c'est possible - se redressa également, lui permettant de comprendre que c'était une louve. Alors qu'il allait tout simplement lui grogner dessus pour récupérer sa proie, l'odeur qui provenait de son pelage immaculé l'alerta de son appartenance a la meute Améthyste, ce qui calma aussitôt son ardeur. Bon, il n’allait pas non plus gueuler sur les jeunots de sa meute, ce serait dégueulasse. Enfin, venant d'un vieillard comme lui, ce ne serait pas étonnant, mais il allait faire un effort. Elle avait de la chance, et elle aurait intérêt d'en profiter, parce que c'est pas tous les jours Noël. Sa remarque lui arracha un sourire amusé, et il se rapprocha d'elle lentement, veillant a ne pas se faire plus de mal que la seconde d'avant. Et puis, il venait déjà de se ridiculiser en public, alors autant prendre garde a ou il mettait ses pattes, sinon, il risquait de tomber une fois de plus, et cette fois-ci, juste sous le nez de la demoiselle. 

« Eh oui, on dirait bien. Je sais ce que tu pense, que c'est la honte, hein? »


Son sourire devint tout à coup plus mélancolique, comme il se détournait d'elle pour fixer le cadavre du daim allongé a leurs cotés. Il n'avait mordu que superficiellement sa croupe, et ça ne l'aurait pas arrêté. La femelle, quand a elle, avait pris garde a tout d'abord blesser l'une de ses épaules, et ses muscles par conséquent, pour le forcer a ralentir et clopiner d'une patte. Puis, pour lui donner le coup de grâce, elle avait plantée sa mâchoire visiblement bien puissante dans la gorge de l'herbivore, qui n'avait pu que rendre son dernier souffle comme ses veines se vidaient de leur sang. Intelligent, rapide, et efficace. Il grinça bruyamment des dents en se rendant compte d'a quel point il était devenu gâteux et inutile, mais changea rapidement d'expression en entendant l'estomac de la demoiselle améthyste gargouiller. Avec un nouveau sourire, il lui désigna le daim.

« Tu peux en croquer un bout, si tu le souhaite. Après tout, c'est toi qui l'as achevé. »

Il abandonna le corps de la bête aux bons soins de la louve, s'éloignant quelques instants pour trouver la paix et réfléchir. Il s'installa a même le sol, et s'allongea en boule, éternuant quelques-fois comme ses narines étaient chatouillés par ses propres poils. Son regard devenait peu a peu vitreux, pour s'humidifier de larmes, qui bien qu'elles ne coulent pas sur ses joues, étaient plus que voyantes. Il était triste. Le grand mâle Assassin avait mal au coeur, et il savait que trop bien pourquoi. Parce qu'auparavant, il était fier, malgré son âge avancé, de pouvoir être utile a la Meute. Et qu'aujourd'hui, il venait de prendre conscience qu'il approchait de la fin de sa vie. Il avait fini par passer le point de non-retour. Et bien qu'il ait toute une belle portée de louveteaux, et une louve a ses cotés, il se sentait mal-en-point, car il avait l'impression que c'était sa fierté elle-même qui avait été brisée en milles morceaux, tout comme son coeur.

HRP:

Il ressemblait à tous points de vue aux clichés qu'on se faisait des grands-pères : un air railleur, suffisant et pataud, avec en plus, une démarche branlante et quelque peu oscillante. Peut-être le contre coup de sa traque qui semblait avoir bien durée ? T'interrogeant sur l'âge du loup, tu finis par le reconnaître. On en parlait souvent, encore. Même si, ce n'était pas qu'en bien. Le mâle inconnu n'était autre que Faustin, Chef Assassin. Le souvenir qu'elle gardait des loups qu'il était censé former ne se résumait qu'à une chose : pathétique. A croire, que son rôle ne servait à rien. Effectivement, s'il ne s'occupait que des louveteaux, dans ce cas, il n'avait pas grand chose à se reprocher. Mais, le souvenir de ces loups - qui se devaient être intelligents et furtifs - qui était encré dans ta mémoire n'était autre que celui de la Réunion qui avait eut lieu. Déjà, depuis quand les Améthystes se révélaient être des lupins soumis et lèches-pattes ? La pire, je crois, c'est que tu t'étais retrouvée acculée par ces loups écervelés et naïfs. Même toi, Garde des terres du clan que tu avais intégré, n'étais pas aussi immature que cette nouvelle Assassin... Évidement, elle se retrouvait être la compagne d'Ezio - ce qui allait tout en sa défaveur quant à la réputation qu'elle avait envers toi -, mais Pinky avait nettement prouvé qu'elle ne méritait pas, à tes yeux, intégrer cette meute. Elle aurait mieux fait de rester chez ces Émeraudes, d'aller là-bas se trémousser et gémir telle une chienne en chaleur afin de montrer sa loyauté. Répugnant. Le souvenir de cette Réunion était tout bonnement désagréable, et, aucun des autres Assassins n'avait réussi à te ôter cette impression. Plus que tout, tu avais été humiliée par cette femelle blanche et écervelée, prête à tout pour gravir les échelons et les castes, pour se retrouver aux commandes d'une meute qu'elle serait tout bonnement incapable de gérer. Mais, et heureusement, tu avais trouvé une alliée de taille - la Protectrice -, celle qui, d'ailleurs, t'avais stimulée à exprimer tes opinions à voix haute envers et contre tous, ou presque. Blodwen était la seule Améthyste à qui tu faisais un tant soit peu confiance...

Le mâle s'était approché et avait finalement renoncé à croquer le premier dans la viande plus ou moins tendre du daim. Son ton, plus amer qu'autre chose, révélait sa contrariété. Alors que tu pensais en être la cause - il est vrai que, pour un mâle, se faire battre par une femelle est difficile à avaler -, tu suivis Faustin du regard. Pataud, ça, on pouvait le dire. Mais, cela ne semblait pas dû à l'âge, mais, faisait plutôt partie intégrante de sa gestuelle. Il s'agenouilla prudemment sur le sol - craignant certainement une quelconque douleur due à l'âge, qui t'étais pour l'instant encore inconnue - et s'enroula sur lui-même. Tu ne percevais pas sa tête distinctement et ne pouvais qu'identifier cet air indéchiffrable que beaucoup se plaisaient à mettre sur leur visage, dont toi.

Te levant, voyant que Faustin ne remuait pas, tu allas te planter devant lui. Effectivement, il y a des fois où tu ne manques pas de culot. Et, cette fois-ci ne fait pas exception. Faisant ainsi face au mâle, tu pus enfin percevoir l'air attristé du loup. Étonnée qu'il se laisse ainsi aller, ou peut-être, n'en pouvait-il simplement plus, tu te stoppas dans ta lancée de critiques et restas muette un instant. Non, tu n'étais pas une Améthyste pure souche, tu n'appréciais pas voir la douleur reluire dans les yeux des autres, n'aimais pas faire souffrir et encore moins se moquer de la douleur des autres. Prenant un air neutre, la tête légèrement penchée, tu toisas un instant Faustin en contre bas, qui vrilla son regard au tien. Avant qu'il ne puisse répliquer quoi que ce soit, tu t'excusas :

Tu voulus ajouter que tu connaissais son nom grâce à la réputation qu'il s'était lui-même construite, et, au vu de sa dégaine, l'avait facilement démasqué. Mais, tu t'arrêtas là, trouvant que tu t'engluais trop et ne ferais certainement que te ramasser le mépris, une fois de plus, d'un Améthyste. Tu le savais : les gentils se font toujours bouffer, toujours. Pourtant, ta nature profonde t'empêchait de laisser ce loup croupir à tes pattes, souffrant et perdu. Bien sûr, la fierté commune de ton clan ne faisait aucun doute, et, tu savais que pour certains, il était impossible d'accepter de l'aide. Aussi, te préparant à une réplique bien salée si le Chef venait à te congédier sèchement, tu attendis avec un masque d'impassibilité plaqué sur ton visage fin, cachant ainsi ta méfiance.

Au lieu de commencer a manger le cadavre de l'herbivore, qui commençait certainement déjà a devenir froid, la femelle lui parla alors qu'il s'allongeait tranquillement dans son coin. Il tressaillit soudainement a ses paroles, qui étaient bien sévères, et fronça aussitôt les sourcils, ses oreilles se plaquant sur son crâne pour prouver qu'il n'appréciait pas ce qu'elle venait de dire. Il détestait tout ce qui touchait a son grade, a sa fierté. Il savait pertinemment qu'il n'avait jamais été le meilleur chef du monde, cela, il en était incapable. Cependant, il savait que ses entraînements valaient quelque chose, et que c'était principalement a cause de petites pimbêches telles que Black Star que les Assassins étaient aussi indisciplinés. Entre ceux qui ne daignaient même pas venir aux entraînements, et ceux qui se montraient irrespectueux envers leur supérieur...il y avait le choix. Il avait honte de sa Meute. Autrefois, il chérissait cette meute de tueurs, de sanguinaires, de guerriers-nés. Mais aujourd'hui, ce n'était plus du tout la même chose. Aujourd'hui, les Améthystes n'étaient plus semblables a ceux qu'ils étaient jadis ; la preuve provenait tout d'abord de leur changement de nom : des Onyx, on en était arrivé aux Opales, pour finalement en venir aux Améthystes. Cela montrait déjà une grande instabilité de leur part. Et puis, par la suite, si on regardait de plus près, on se rendait compte que les Améthystes s'étaient ramollis, étaient devenus moins agressifs et violents. Il n'appartenait plus a sa Meute, voilà. Il ne se sentait plus comme une part unique de cette Meute. Il ne sentait plus rien du tout.

« Je m'occupe bel et bien des Assassins, mais leur indiscipline n'est en aucun cas ma faute. A l'époque, je n'avais tout simplement pas été averti que j'aurais a prendre en charge des gosses de 2 mois, qui ne pense qu'a eux avant leur Meute.

Sa voix devenait au fur et a mesure méprisante, comme il parlait de ses élèves en ces termes. Il n'avait pas honte de cela, d'ailleurs ; ils méritaient tous ce qu'il disait. Soudainement, la femelle se planta face a lui, si rapidement qu'il n'eut même pas le temps de cacher ses yeux brillants de larmes. Il se contenta donc de renifler bruyamment, tout en rivant son regard au sol, pour éviter celui de la blanche. Si elle ne se moquait pas de lui, ce serait une première. Les femelles étaient rudes, en ce monde. Elles ne se préoccupaient généralement pas des loups faibles, sentimentaux ou trop dragueurs, et elles préféraient visiblement se faire violer par un de ces loups durs et sans émotion comme il en traînait souvent dans les Terres Neutres. Néanmoins, a sa grande surprise, elle sembla un peu gênée de le voir ainsi, et s'excusa poliment, tout en se présentant. Ses larmes disparurent peu a peu, comme il retrouvait un sourire moqueur auquel il était habitué. Elle devait surement s'attendre a ce qu'il la remballe, venant d'un Améthyste. Mais il devait être trop fatigué pour ça, visiblement. Il ne voulait plus jouer a cela.

« J'accepte tes excuses. De toute façon, bientôt, je n'aurais plus a me soucier des Assassins Améthystes, ni même de la meute toute entière. »

[Bien sûr que j'aime, ma grande, tu sais que j'aime tout ce que tu fais. :3
Merci pour ce rp, qui en effet, est important, autant pour Faustin que pour moi.]

Las, il referma les yeux, qui commençaient déjà a s'humidifier a nouveau. Il n'y avait rien a faire : il restait un éternel fainéant. Jusqu’à la fin de sa vie, il n'aura daigné bouger son derrière pour se forcer a combattre, avec le peu de forces qu'il lui restait encore. Il avait abandonné, il se sentait obligé de l'avouer. Il avait abandonné contre la vieillesse, contre la mort. Parce que même s'il contenait toujours sa fierté d'Améthyste, elle n'était plus qu'éphémère. Désormais, plus personne ne se rappelait des Onyx, ou encore de Méphistophélès. Et lorsqu'on criait qu'on était Améthyste, on nous riait au nez, en disant que cette Meute était la plus perdue d'entre toutes. Ils n'avaient pas torts, les Améthystes étaient tombés au fond du trou. Les autres Meutes, même lorsqu'elles étaient fichues, s'étaient alliées entre elles, et avaient survécus grâce a cela. Et si autrefois, il pensait qu'on était capable de survivre seul, il changeait désormais d'avis. Cette solitude avait menée les Améthystes a un point de non-retour. Un soupir fatigué passa la barrière de ses lèvres entrouvertes, qui laissait difficilement passer une respiration saccadée et faible. Il n'en avait donc plus pour très longtemps. Les mots de la louve sonnèrent en lui comme le glas de la vérité, et le força a rouvrir ses iris écarlates, qui avaient perdues de leur éclat il y a de cela bien des années déjà. Elle avait raison. Dans sa jeunesse, ou même a ses 7 ans, ou la fougue du combat l'habitait encore, il ne se serait jamais imaginé mourir dans de telles conditions. Lâchement, seul dans un coin, reclus de tous. Nul doute que les rapaces se feraient un festin de son cadavre, après sa mort. Peut-être même que les Améthystes en profiteraient pour le tabasser un bon coup, histoire de se défouler, et de lui rendre la pareille pour toutes les années ou ils avaient du le supporter, lui et ses critiques incessantes. Cependant, ses pattes tremblaient, et il ne se sentait plus le courage de se redresser, ni même de ramper jusqu’à sa Tanière, là ou il mourrait en toute dignité. Il rattrapait le temps qu'il avait essayé de faire il y a longtemps, lors de la mort de ses Parents et de son Grand-Père. Il y était parvenu, pendant quelques années. Mais c'était une stratégie a double-tranchant, car le jour ou il s'arrêterait, ce temps lui retomberait dessus, d'un coup d'un seul. Et il en serait réduit a l'état de vieillard croulant qu'il était aujourd'hui. A court de réponse envers la demoiselle, et par peur de perdre le semblant de souffle qu'il lui restait, il garda le silence, contentant de cligner brièvement de ses yeux vitreux pour lui confirmer qu'il pensait la même chose.

Finalement, la blanche se releva, pour disparaître de son champ de vision. Comme son odeur s'éloignait, le coeur du vieux mâle fut empli de peine, comme il songeait que la dernière personne a lui avoir parlée aurait été une femelle, qui l'aurait en fin de compte abandonnée a son sort. Il referma les yeux, et commença a somnoler doucement, sentant peu a peu son corps s'alourdir comme le sommeil s'emparait de son esprit. Il souhaitait juste s'endormir. Pour ne plus jamais rouvrir les yeux sur le monde pourri qu'était celui de Wolf Temporal. Pour rejoindre des cieux meilleurs, et retrouver Méphistophélès, ses Parents, ainsi que ceux de sa famille qu'il avait autrefois négligé. Néanmoins, au fond de lui, il sentait que ce n'était pas encore la toute fin. Il sentait que ce n'était qu'un passage douloureux, qui le conduirait peu a peu jusqu’à l'immobilité éternelle. Il allait souffrir, avant de partir. Mais visiblement, c'était le prix a payer pour partir en paix. Une odeur de chair fraîche fit gronder son pauvre ventre, tout de même affamé malgré les circonstances, et il rouvrit ses yeux fatigués, pour les poser sur le cadavre du daim, que Keane tirait près de lui, pour le laisser se nourrir. Ses précédentes paroles lui revinrent en mémoire, et a nouveau, ses yeux pleurèrent d'eux-même.

« Ah, zut. Voilà que j'ai une poussière dans l'oeil, maintenant...quelle plaie. C'est trop demandé de mourir en paix, hein? »

Bien que son visage ne soit couvert par les larmes, sa bouche, elle, s'ouvrait sur un grand sourire reconnaissant, un sourire que peu avait déjà eu le loisir de se voir offrir. Il le lui offrait a elle, parce qu'elle lui avait généreusement prêtée main-forte. Elle était solidaire, et elle était la seule chose qu'il lui manquait aujourd'hui pour continuer d'avancer. La volonté, la vigueur de la jeunesse, et l'esprit. Il se traîna sans aucune élégance vers la carcasse de la bête, qu'il commença a dévorer du mieux qu'il le pouvait, recrachant quelques-fois la viande trop dure désormais pour lui. Une fois ceci fait, il jeta un coup d'oeil a la louve, qui semblait l'attendre, et se décida enfin. Avec difficulté, il se redressa sur ses pattes, dont les articulations grinçaient et craquaient a chacun de ses mouvements, mais y parvint finalement. Cet exploit lui arracha un nouveau sourie, triomphant cette fois-ci, et il se tourna vers Keane, la voix tout de suite plus tendre et amicale. Il était en train de faire la seule chose de sa vie qu'il n’aurait jamais fait en état normal : avoir une conversation banale avec quelqu'un.

« Je suppose que je peux accepter ton aide, désormais, Keane. Tu est une Améthyste comme il est rare de croiser ; les autres m'auraient probablement laissés a mon sort ici. Mais toi, tu n'as pas l'esprit de ces Terres ; tu as gardée en toi les valeurs de ta terre natale. Et c'est brave, de ta part. Je ne connais aucune des raisons qui t'ont poussée a rejoindre les Améthystes, et si tu ne veux pas m'en parler, je ne t'y forcerai pas. Mais...je dois dire que j'aimerais en savoir plus sur toi, et t'accorder mon aide. Si toutefois tu en as besoin. »

Malheureusement, même si avec l'âge, le mâle s'était finalement adoucie, la femelle, elle, restait une Améthyste jeune, qui n'était pas du genre a se confier a autrui. Il avait oublié, avec le temps, le caractère farouche des Améthystes, parce qu'ils étaient tous devenus invisibles, transparents. Autrefois, dans cette meute, les affronts étaient fréquents, et on se faisait toujours une joie de se démarquer du reste des membres de la Meute. Aujourd'hui, tout le monde suivait le leader, docilement, comme de bons toutous. Mais Faustin n'était pas un chien ; il était un loup, un pur et dur. Et il refusait de se glisser dans un moule juste pour le bon plaisir des autres. Quitte a être viré de sa propre Meute, il ne resterait pas inerte, comme tous les autres. Le mouvement de recul de la demoiselle ne l'étonna pas, et il se recula aussi un peu, comme pour mettre de l'écart entre eux, comme pour lui montrer qu'il ne cherchait pas a s'introduire dans son espace personnel. Son avertissement le mit de mauvais poil : son échine s'hérissa peu à peu, tandis qu'un grognement sourd et lourd remontait de son gosier. Il n'aimait pas les jeunes qui se permettaient de faire des cachotteries aux anciens. Il comprenait qu'il n'était jamais facile de parler de sa propre vie, et des traumatismes vécus s'il y en avait, mais là, ils n'étaient que deux. Et puis, qu'avait-elle a craindre d'un vieillard comme lui? Ce qui le laissait donc supposer qu'elle avait vécue quelque chose de plutôt grave, pour se mettre sur la défensive ainsi.

« Je n'insisterais pas, alors. Mais sache que tu n'as absolument rien a craindre de moi ; je n'ai jamais été qu'un chieur aux yeux de notre Meute, et aujourd'hui, je le suis encore. Pire, je suis un vieux papy croulant. Alors, il n'y a pas a avoir peur que je le répète a quelqu'un. Si un jour tu décide de me conter un petit bout de ta vie, rien que ça, je l'emporterai avec moi dans la tombe. »

L'air grave et sérieux, il fixait Keane sans sourciller, cherchant a l'adoucir un peu. Elle s'excusa un peu plus tard, humble, et tu acceptas ses excuses avec un hochement de tête léger. Ton regard rouge sanglant se reposa a nouveau sur le cadavre au ventre béant du daim, et un court instant, son esprit remplaça le corps de la bête par le sien. Un frisson parcourut son échine, qui s'hérissa de nouveau sans raison, avant qu'il ne décide de marcher un peu, pour se dégourdir les pattes, et chasser ses mauvaises pensées au loin. D'un signe de tête, il invita la femelle a le suivre, bien qu'en quelques pas a peine, elle l'avait déjà dépassée. Il ne faisait vraiment pas bon vieillir, de nos jours. Il eut une brève pensée pour ses enfants, qu'il n'avait pas revu depuis leur naissance, et le regret commença a pincer son coeur. Peut-être aurait-il du leur rendre visite plus souvent, en tant que Père. Les braves petits avaient déjà perdus leur mère, et leur père les avaient laissés seuls face au danger de ces Terres. Son acte avait été inconscient, mais il était un Père maladroit et inexpérimenté. Il n'avait pas eu peur de s'occuper d'eux, non, c'était encore pire. Il avait eu la flemme, l'ennui de ces enfants. C'était horrible a dire de sa part, mais il s'était lassé de sa propre descendance. Jusque-là, aucun de leurs noms n'avait retenti comme un nom de guerrier, lors de réunions. Il avait souhaité des enfants guerriers, des enfants battants. Et a part Hélios et Kurt, il avait obtenu une progéniture faible, destinée a devenir Oméga au sein de la meute. De quoi redorer son blason, hein.

« C'est sûr, je n'ai jamais été un loup sympa. Faut dire que les gens m'emmerdent tellement, en même temps. Je ne vois pas l'intérêt d'être attentionné envers des personnes qui le lendemain, auront déjà oubliées mon nom, ou rêveront de ma mort. Seulement...aujourd'hui, le temps me rattrape, et je sens que mon corps est bientôt a sa limite. Alors, je me suis dit que peut-être, a la fin, j'aurais pu changer, rien qu'avec une seule personne...mais on dirait bien que je me suis encore raté. »

Keane.

Tu venais d'ouvrir une brèche sur ton passé. Qui ne se refermerait pas de si tôt. Ou plutôt, Faustin en était fautif. Après tout, il avait - de ton point de vue - trop insisté sur ton histoire pour que cet intérêt soit mu par de la simple curiosité. Si Black Sky avait pu être au courant, il n'était certainement pas impossible de récolter des informations pour un loup tel que le Chef Assassin. Néanmoins, bien qu'ayant présenté de plates excuses, tu ne savais toujours trop quoi penser de ce rapprochement fait à ton passé. Il n'avait pas lieu d'être, d'après toi. D'après moi, tu étais simplement en train de dépasser les limites de la simple méfiance envers tes congénères. Cela devenait carrément de la paranoïa. Faustin n'avait fait que poser innocemment une question, sans doute ne s'attendait-il même pas à une quelconque réponse de ta part. Avait juste placé ce sujet tant redouté au beau milieu de sa tirade. Par simple curiosité. Juste de la curiosité. Chose anodine et inoffensive pour la suite, bien sûr. Finalement entièrement rassurée, tu te détendis intérieurement. De plus, les paroles du loup amenaient un certain calme et une sérénité diffuse à ton cœur qui venait de s'emballer pour un rien. L'air grave, Faustin essayait certainement de convaincre quelqu'un de déjà convaincu. Et, son auto-dérision cinglante te mettait à rude épreuve quant à la garde de ton sérieux. Puis, il finit par arrêter de parler, closant cette tirade-là par une promesse pas si rassurante que cela. Pouvait-il donner sa parole qu'elle n'aurait que peu de valeur à tes yeux. Tant que cette dernière n'avait pu être testée, elle restait à tes yeux sans valeur aucune. Alors que le mâle démarrait par quelconque choix, mettant de la distance entre vous deux, tu te surpris à le suivre machinalement. Tu t'en étais voulue de ta réaction précipitée... On aurait dit que tu avais fermé d'un coup l'ouverture offerte par Faustin, ce loup si peu avenant et amical. Tenant donc à rattraper ta bêtise, tu restas à ses côtés, silencieuse. La chaleur ne te laissait aucun répit, semblant s'acharner sur ton sort. Et, tu te demandais comment cela devait être de supporter telle température à un âge aussi avancé que celui de Faustin. De près de 6 ans ton aîné, ce dernier semblait bien fatigué et éprouvé par la vie. Tu te demandais brièvement si tu vivrais, dans pas si longtemps que cela, la même chose que lui. Ces déplacements difficiles, ces membres semblant constamment perclus, ce manque d’énergie constant. Tu n'avais pas hâte. Mais pas hâte du tout. La vie elle-même devait paraître plus rude encore que ce qu'elle ne l'était déjà avant. Et puis, est-ce que quelqu'un serait là pour toi comme tu venais de le faire pour Faustin ?

La voix de Faustin s'éleva à nouveau, ébranlant le lourd silence qui était venu s'installer depuis quelques minutes déjà. Pourtant, alors que tu t'attendais encore à ce qu'il prouve sa fiabilité quant à savoir fermer sa gueule, tu fus étonnée que ce soit encore lui qui te confie quelque chose. En fait, ce mâle semblait renfrogné et froid. Mais avait la langue bien dénouée. Et des sentiments bien présents. Il l'avait montré tout au début, Faustin était bel et bien sensible. Aussi, ne tenant pas à prendre ce sujet à la légère, songeant lui faire mal autrement, tu ne pus que parler avec ton cœur :

Sur ces bonnes paroles, tu lui adressas un regard. Ses globes écarlates heurtèrent les tiennes, et tu laissas un sourire platonique s'afficher sur ton visage. Espérant que tes mots aient fait resonner quelque chose en lui, tu pris le temps de détailler son corps encore athlétique, quoi qu'en dise le vieux ronchon. C'est étrange comme tu pouvais être méchante et irascible avec certains loups et si réfléchie et compatissante avec d'autres...

Gêné par sa nouvelle confidence, il détourna le regard un instant, comme si ce simple geste pouvait réussir a le transporter a des lieues de cet endroit et de Keane. Il n'avait jamais été un baratineur de toute sa vie, et pourtant, aujourd'hui, il avait l'impression de se mentir a lui-même. Le Faustin normal, qu'il soit jeune ou vieux, n'aurait pas abandonné si facilement contre la mort. Ses pattes finiraient bien par être trop épuisées pour le porter, et ses yeux trop fatigués pour oser voir, mais son esprit ne serait pas atteint par ces dommages physiques. Alors pourquoi fallait-il qu'aujourd'hui, il s'avoue vaincu? Parce qu'il sentait qu'il avait raté beaucoup de choses dans sa courte vie. Peut-être un peu trop. Il n'avait jamais été un bon enfant, ni un bon ami, encore moins un bon père. A vrai dire, il n'avait été bon a pratiquement rien, si ce n'est a être Assassin. Keane reprit finalement la parole après un long moment de silence, durant lequel elle semblait avoir réfléchie et a sa situation, et a la sienne. Il sentit la touche de sincérité qu'elle plaçait dans chacun de ses mots, qu'elle choisissait avec soin, comme pour éviter de dire quelque chose qui le blesserait ou l'énerverait.

« Faudrait vraiment que je réagisse, hein? Dire que j'ai des gosses qui n'attendent que leur Père invisible derrière moi...»

Il rit jaune, un air blasé au visage, avant de perdre son sourire, ainsi que son expression amusé, pour en adopter une tout de suite plus sérieuse. Ils n'avaient beau se connaitre que depuis quelques minutes a peine, il lui semblait lui avoir déjà tout dévoilé, alors qu'elle, elle gardait une immense part de secret. Il ne demandait pas a connaitre ces secrets, au contraire. La réserve qu'elle adoptait en les évoquant le mettait en garde également, sur quelque chose d'incroyablement dangereux. Il sentait que s'il venait a en apprendre plus, il commencerait a douter de tout ceux qui l'entouraient aujourd'hui. Et il ne le voulait pas. Il secoua un instant sa large tête pour avoir l'esprit plus clair, et plongea a nouveau son regard écarlate dans celui orangé de la louve.

« J'ai compris la leçon, je pense. Vu qu'on parle du futur...qu'est-ce que tu compte faire, a partir de maintenant? »

HRP:

La jeune Améthyste sembla intéressée par ses propos, puisqu'elle le questionna sur sa famille. De nouveau, les pupilles sanglantes du vieux mâles se rivèrent au sol sec sous leurs pattes. Sa famille avait certainement été la meilleure chose qu'il ait jamais ratée de toute sa vie. Il n'avait pas aimé Ruby, il s'en rendait finalement compte. Il le savait déjà depuis longtemps, mais il avait essayé de faire semblant, pour satisfaire l'image de bons parents a laquelle devait songer ses enfants. Seulement, il n'avait jamais rien ressenti pour elle ; ce n'était qu'une inconnue a ses yeux. Une véritable étrangère qui s'était permis de les quitter sans un mot ou un au revoir, brisant les rêves et les espoirs de sa progéniture. Il avait beau avoir été un mauvais Père, il savait qu'il ne pourrait jamais être aussi pire qu'elle. Bien sûr, il ne lui souhaitait aucun mal ; il n'était pas assez égoïste pour cela. Il lui souhaitait sincèrement de trouver quelqu'un qui l'aimerait vraiment, quelqu'un qui l'aiderait a se fixer une bonne fois pour toutes. Seulement, il ne pouvait s'empêcher de ressentir de la rancune a son égard. Dés le départ, elle savait qu'il ne serait rien d 'autre qu'un mauvais Père. Et pourtant, elle s'était permis de les abandonner derrière elle, a la charge d'un bon a rien comme lui. Ses enfants devaient certainement la haïr, a l'heure qu'il est. Ils devaient surement le détester de n'avoir jamais rien fait pour eux. Un soupir fatigué passa la barrière de ses lèvres closes, avant que ses pupilles ne rencontrent a nouveau celle de Keane, silencieuse et immobile face a lui, attendant qu'il se confesse de lui-même. Il était amusant de constater a quel point elle souhaitait en savoir plus sur lui, alors que lui-même ne savait rien sur elle.

« Laissons donc cela de coté ; ce sont de bien trop mauvais souvenirs pour que j'y repense maintenant. Et il est sans doute trop tôt pour moi pour pouvoir les exprimer a quelqu'un, même toi. »

Une ébauche de sourire désolé fit son apparition sur son visage, éclairant l'expression sombre qu'il arborait quelques secondes plus tôt. La louve haussa les épaules, plutôt insouciante, avant d’enchaîner, en disant qu'il lui fallait reprendre ses rondes. Comme les pattes du vieux mâle tremblaient un peu a cause de la fatigue, on aurait pu penser qu'il allait repartir tranquillement a sa Tanière, et y mourir sereinement. Seulement, sa rencontre avec Keane avait changé sa vie, plus profondément qu'il ne le pensait. Il avait désormais compris qu'il n'est jamais trop tard pour bien faire. Et c'était grâce a elle. Ce pourquoi il força sur ses muscles rouillés, pour adopter un trot léger, dépassant rapidement la Blanche, qui le regardait désormais d'un regard surpris.

« Je pense que je vais t'accompagner pour ce soir. Voilà qui ne ferait pas de mal a mes vieux os. »

Elle sourit également, avant de le rejoindre, calquant son allure a la sienne pour le ménager. Rapidement, le soleil finit par se coucher entièrement, emportant avec lui l'image de deux loups s'éloignant côte-à-côte, la mine sereine. Quoi qu'il arrive désormais, Faustin sentait qu'il savait qu'il pourrait changer quelque chose, même si ce n'était pas grand-chose.

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