Je venais de me faire virer des terres de je ne sais quel clan à la noix. Comme si un morceau de terre, un arbre ou un caillou pouvait leur appartenir. Je crois leur avoir craché dessus avant qu’ils ne m’attaquent. A trois contre un, c’est lâche. Alors je me suis battu comme un fou. Je crois même en avoir ris. Mais j’ai finis par partir. Blessé, saignant d’un peu partout, j’ai traîné ma jeune carcasse jusqu’en territoire libre. Là au moins, on ne viendra pas m’embêter. Je m’étais retrouvé dans une sorte de jungle. J’aimais bien cet endroit. J’avais surtout mal à la patte. J’marchais même pas droit, comme un junkie après s’être injecté une bonne dose d’héro. Sauf que moi, bah j’ai vachement mal. Alors j’me suis plains, j'ai grommelé des phrases incompréhensibles de toute façon destinées à moi-même. Ces saletés de claniques... Une bande de moutons sans cervelles. ‘Sont même pas capable de se diriger par eux même. Et après ils s’étonnent que j’leur crache dessus.

Bon. J’ai faim. Mais j’suis pas en état de chasser. Tant pis, j’vais devoir attendre. Au pire, j’irais voler la proie d’un faiblard assez courageux pour s’approcher de moi. Je m’avançais de ma démarche penchante entre les arbres. J’cherchais juste un endroit calme où me poser. Finalement, après quelques minutes plutôt douloureuses, j’ai trouvé. Y’avait un arbre plutôt grand dont les branches retombaient pour former une sorte d’abri. Un saule pleureur je crois. Drôle de nom. Je me suis donc allongé sous le grand saule pleureur, lâchant un soupir de soulagement.

Puis j’ai vu cette fleur. Ouais, y’avait une petite fleur blanche juste devant mon nez. Je l’ai regardé, longtemps je crois. J’sais pas pourquoi, mais elle me rappelais ma mère. Alors que ma mère, j’l’ai pas beaucoup connue. Elle était blanche dans mes souvenirs. C’est peut-être pour ça que la fleur me fait penser à elle. Puis elle était fragile aussi, très fragile. Comme cette fleur. Cette saleté de fleur blanche et fragile qui m’a abandonné. Je grogne et écrase la fleur d’un coup de patte, puis je me roule en boule. J’crois que dans le fond, j’aime ma mère malgré le mal qu’elle m’a fait. J’ai fais semblant de ne rien ressentir. Je savais qu’elle allait nous laisser. Je soupir. T’façon, j’ai pas envie d’y penser.

Une journée ensoleillée s'est abattue sur les territoires libres ... Le soleil est à son zénith et tout semble calme et paisible. Même le cri plutôt agaçant des oiseaux paraît apaisant. Etrange sensation. Etrange phénomène. Le calme est là, il s'est installé sans que l'on lui demande. Mais l'envol d'un groupe d'oiseaux perturbe ce silence jusque là, majestueux. Une silhouette se fond dans la masse, au milieu des arbres dont les feuilles sont vertes, tirant vers le jaune tellement l'été va vite arriver. La silhouette s'avance, elle semble suivre quelque chose, tellement son regard est furtif, il avance avec prudence et discrétion, ce qui n'est pas dans ses habitudes.

Je n'ai pas arrêté de la journée. Moi, Cameron, solitaire dans l'âme. En effet, maintenant que j'endosse le rôle de père, j'ai trois bouches à nourrir dans ma tanière, et Dieu sait qu'ils ne sont pas gourmets, mais gourmands ces petits. Surtout un des jumeaux, Stark. Mais en leurs donnant tout ce dont ils ont besoins, ils deviendront de redoutables guerriers, et tueront tous les Solitaires afin d'exécuter la vengeance de leur mère. Et en plus d'être gloutons, ces petits sont exigeants. En effet, ce matin lorsque je dormais encore, les trois petits m'ont sauté dessus en me réclamant des volatiles pour le dîner du soir. Je n'aimais pas qu'on me réveille succinctement, et ce n'est toujours pas le cas. Je suis comme un ours mal léché si vous voulez, enfin bref ... Ma compagne, Caleb, dormant encore, je n'avais pas pu refuser, en plus face à trois petites bouilles craquantes. Je n'ai pas l'habitude de succomber à des têtes attendries, mais là, c'était un cas exceptionnel, en l'occurence, mes fils. J'avais donc arpenter tous les territoires libres à la recherche de volatiles. En vain. En partant de bonne heure ce matin, je n'avais pas réalisé qu'il serait plus rapide de commencer par la jungle tropicale, l'endroit où tous les volatiles possibles et imaginables se trouvent. Des bleus, des verts, multicolores même ... Enfin bref, je ne compte pas épiloguer là-dessus. Ce qui m'avait amené ici ? Pas principalement les volatiles, à vrai dire, j'avais un peu oublié. J'avais vu une étrange silhouette qui semblait marcher en boîtant. Je l'avais donc suivie, comme intrigué par cet étrange personnage. Il se trouve qu'il s'était arrivé devant un grand arbre, peu commun dans cette région normalement. On aurait qu'il observait une ... fleur ? Oui une fleur, blanche plus exactement. Alors qu'il semblait captivé par cette dernière, il l'écrasa comme s'il ne l'avait jamais vue auparavant. De plus en plus étrange. Remettant la chasse de volatiles à plus tard, je m'avançais alors que j'inhalais une odeur de Solitaire. Ce type était solitaire ? Bien, bien. J'apprenais donc des choses. J'avançais d'un pas sûr et la silhouette du solitaire se dessinait de mieux en mieux face à moi. Je relevais la tête. Bien que j'étais désormais père, je n'oubliais pas ma capacité phénoménale à emmerder les gens. La tête toujours relevée, je me tenais droit, face au solitaire boîteux.

Jusqu’à là, j’étais tranquille. Puis y’a eu ce gars. Ce gars qui s’est posté devant moi, la tête haute et le corps droit. Il m’avait l’air bien hautain. J’ai humé l’air. C’était un solitaire, mais qui avait une famille. On pouvait sentir l’odeur de quelques jeunes. Au moins, j’me retrouvais pas en face d’un de ces loups de meute, j’avais pas envie de parler avec des écervelés comme eux. J’leur aurais sûrement dis quelque chose qui ne leur aurait pas plu, alors il m’aurait attaqué, lâches comme ils sont. J’étais pas en état de me battre.

Enfin bon. Je l’ai regardé, histoire d'pas paraître malpoli. … Nan j’déconne, j’m’en fous complètement de passer pour un imbécile sans éducation. C’est pas son avis qui va changer mon existence. M’enfin bon, il était là, sous le même saule pleureur que moi, à me regarder fixement. Et c’était plutôt dérangeant.

- Heu... Mec tu fais quoi là ? T’veux que’que chose ?

Oua, j’ai été gentil ce jour là. J’crois que ce loup m’avait mis plutôt de bonne humeur. J’avais envie de m’amuser un peu. C’était peut-être un peu méchant de m’occuper à l’insu des autres. Mais de toute façon, je n’étais pas gentil. Pas méchant pour autant, mais pas gentil. Puis je me suis dis que ce loup voulait peut-être me demander de l’aide. J’ai baillé à m’en décrocher la mâchoire. J’allais pas faire de manière, hein. Au pire, si j’l’avais gêné, il avait qu’à se casser.

- Si t’as besoin d’aide ou d’un truc dans l’genre, j’suis pas la bonne personne.

Clair et net. J’avais pas envie de l’aider. J’avais même pas envie de bouger. J’sentais que j’allais rester couché là jusqu’à ce que je ne ressente plus la douleur ou jusqu’à ce que la faim se fasse trop présente. Tiens, d’ailleurs, j’en avais presque oublié mon estomac. J’avais encore faim. Enfin, comme d’habitude.

Le solitaire au pelage fauve se tenait face au solitaire boîteux qui, visiblement, était mal en point. Ce n'était qu'une pensée du jeune père, mais pas une seule seconde il n'en douta. Très vite, le loup boîteux prit la parole, et semblait poser les mauvaises questions. En effet, le loup fauve, prénommé Cameron, était tout l'opposé de ce qu'il voulait bien croire.

J'avais la tête haute, prenant cet air hautain que je n'avais pas l'habitude d'utiliser. Mais ma compagne me disait que ça m'allait plutôt bien, et puis quand on y réfléchit bien, tant que ça pouvait emmerder quelqu'un, ça m'allait. Ce type, oui là ce boîteux, semblait me prendre pour ce que je n'étais absolument pas. Au départ, il s'adressa à moi comme si j'étais son "pote". Il avait une étrange façon de parler soit dit en passant. On aurait dit qu'il avait un léger accent et qu'il oubliait certaines lettres dans des mots. Quel étrange personnage songeai-je. Cette chose atypique qu'il détenait me donnait l'envie d'en savoir plus à son sujet. Comment était-il arrivé là et comment s'était-il blessé ? Je voulais savoir, et j'allais l'obtenir. J'obtiens tout ce que je veux, surtout face à ma qualité d'emmerder les gens, les loups finissent généralement par succomber. Ce qui est plutôt pour me plaire et pas me déplaire. Puis avant que je dise quoi que ce soit, le pauvre type adossé contre je ne sais quelle pierre reprit la parole, me comptant qu'il était pas là pour aider qui que ce soit. Ce type là, il me prend vraiment pour un con et j'aime pas ça. Je l'ai vu boîté depuis le début de la jungle, et il croit vraiment que je viens lui demandé de l'aide ? Dans l'état où il est ça se fait pas ... Ou alors si. Ce serait bien de lui faire fournir un effort physique pour qu'il se lamente toutes les deux minutes à cause de sa patte. Je suis vraiment un génie moi alors ! Je ricane intérieurement, pour ne pas éveiller les soupçons chez l'étrange individu. Alors que j'adopte une position plutôt "noble", je tousse, et dit au pauvre type que j'avais devant les yeux, mes paroles n'étant absolument pas en harmonie avec la position que j'adoptais là. J'aimais évoquer la surprise chez les gens que je rencontrais, de toutes les manières possibles.

_" De l'aide ? T'aime bien te foutre de ma tronche comme ça toi ?! Je te suis depuis le début de la jungle et je te vois marcher avec difficulté à cause de ta...patte, et tu veux me faire croire que je viens te demander de l'aide ? Vive l'intelligence...mec. " dis-je d'un voix rauque.

Il avait accentué son air hautain en levant la tête de façon à pouvoir me regarder d’encore plus haut. J’étais allongé et il était debout, ça ne servait vraiment à rien, il me surplombait déjà. Mais bon, va savoir ce qu’il lui était passé dans la tête à ce moment là. Il a toussoté et prit un air de richou. Je m’attendais à ce qu’il me parle comme un noble, ce qui m’aurait fait bien rire, mais il en fit tout autrement, et ce n’était pas comme si ça me déplaisait.

_" De l'aide ? T'aime bien te foutre de ma tronche comme ça toi ?! Je te suis depuis le début de la jungle et je te vois marcher avec difficulté à cause de ta...patte, et tu veux me faire croire que je viens te demander de l'aide ? Vive l'intelligence...mec. "

J’ai lâché un petit rire. Ce gars était vraiment intéressant, je sentais qu’il allait occuper un peu de mon temps libre. Il me semblait avoir du caractère. J’l’aimais bien. Bref. J’ai encore baillé à m’en décroché la mâchoire, puis je lui ai répondu :

- On sait jamais, t’aurais pu être con. Faut faire attention, y’en a partout. J'ai fais une pause, fixant quelque chose d'invisble derrière son épaule, puis j'ai continué. J’ai eu d’la chance de tomber sur toi plutôt que sur un de ces moutons de loups de meute.

J’ai encore fais une pause, me perdant dans mes pensées. Je haïssais les meutes, je haïssais les loups autres que solitaires. Ces imbéciles... C’était à cause d’eux que j’me retrouvais ici. Pas que ça me déplaisait, mais... Voilà quoi. T’façon, c’était qu’une bande d'idiots suivant un tyran juste assez intelligent pour régner sur quelques pigeons.

Enfin bon. J’ai secoué la tête pour chasser mes pensées, puis j’ai fixé le solitaire. Silence. Je le regardais dans les yeux, couché au sol, saignant d’un peu partout, avec des touffes de poils manquantes et une patte blessée. Et il était là, me regardant comme un moins que rien, son pelage fauve propre et fournit. J’avais l’air d’un misérable à coté de lui. Mais je m’en foutais bien. De toute façon, j’étais un moins que rien, un déchet qu’aurait mieux fait de crever. J’aurais même pas du vivre. Pourtant j’suis bien là, prêt à emmerder le monde jusqu’à ce je lâche mon dernier soupir. On se défait pas si facilement d’un parasite comme moi.

- Donc si t’es pas venu pour demander de l’aide, tu fais quoi là ?

Je restais attentif, l’oreille droite et l’œil vif. j’avais hâte d’entendre sa réponse. Il m’intéressait beaucoup pour un simple loup.

Je rigolais intérieurement après avoir prononcé ce que j'avais à dire, ce que j'avais sur le coeur. Je rigolais juste parce que j'étais impatient de voir ce que le boiteux allait me répondre. Et oui, un nouveau surnom ! Plutôt original, non ? En général, je ne donne pas de surnoms aux gens que je ne connais pas. Mais c'est qu'il serait intéressant ce petit ! Et pas qu'un peu. Rien que sa façon de s'exprimer m'attire beaucoup. Qui sait, si ça se trouve c'est un emmerdeur comme moi ? Je serais vraiment enchanté si c'était le cas, on pourrait faire un beau duo. Les emmerdeurs : Le chieur et le boîteux. Pas mal, pas mal. J'imagine que je peux développer plus que ça, mais bon, c'est la première chose qui me vient à l'esprit, et pour un premier, je suis assez fier de moi. De toute façon, je n'ai jamais honte de moi, même si je fais des choses ridicules ou déplacées, je m'assume tel que je suis vraiment, je ne m'imagine pas autrement, c'est tout. Moi, Cameron, je resterais un emmerdeur pour toujours, quoi qu'il arrive dans ma vie. C'est dans ma nature c'est tout, on ne peut pas me changer. Et je ne vous conseille pas d'essayer, vous risqueriez de perdre votre temps de manière inutile. Peut-être que pour vous ce que je dis là c'est du blabla, mais j'y réfléchirais deux fois quand même, on n'est jamais trop sûr, n'est-ce pas ? Alors que j'étais plongé dans mes pensées, assez étranges soient-elles, lorsque l'individu boîteux répondit à mes attentes, m'interpellant une nouvelle fois. Vu comment il commençait, je commençais à croire qu'il se foutait vraiment de moi et qu'il allait m'en balancer plein la tronche, même si cela ne me faisait pas peur. Mais après une courte pause, il me remercia. Enfin, moi j'ai pris ça comme ça, je pense que c'était l'effet voulu. Je hochais la tête sans vraiment y trouver l'utilité. Le boîteux finit par plonger dans ses pensées, et je ne voyais pas l'utilité de lui répondre, il n'allait certainement pas entendre ce que je lui dirais, ou alors il entendrais juste des sons vagues, ne possédant pas un réel sens. Soudainement, je me sentais un peu seul, j'avais l'impression que l'âme du boîteux m'avait quitté. Mais quelques minutes plus tard, il me regarda de nouveau pour reprendre la parole. Je me contentais alors de me taire pour le laisser parler. Il insistait. Il était de plus en plus intéressant ce gamin, alors que je le découvrais au fil des minutes qui s'écoulaient. Ses oreilles se pointèrent vers l'avant, montrant sa curiosité et son intérêt envers moi. Je ne pus m'empêcher d'esquisser un sourire en coin. Franchement, et même si je radote, il me plaisait ce gamin, vraiment. Pour une fois que quelqu'un me plaît, c'est bien la première fois ! (Rires). Mais bref, revenons en aux faits. En fait j'étais venu faire quoi ici moi ? Heureusement qu'il pose la question, sinon je ne me la serais certainement pas posée moi même. Ah oui ! A la base j'étais venu là pour trouver des volatiles pour mes trois petits monstres, exigeants soient-ils. Mais bon, ce sont mes fils, ma chair, ceux que j'aime, et ils incarneront la vengeance de ma compagne et moi, ne l'oublions pas. Mais assez perdu de de temps ! Il faut peut-être que je réponde au boîteux sinon il va se poser des questions, et il va se demander si je l'écoute vraiment. Or, je l'écoute bien. Je dressais mes oreilles arrondies vers l'avant, et répondit, de la même manière que lorsque je m'étais adressé à lui la fois précédente.

_ « Beh. A la base, j'étais venu ici pour chercher des volatiles, enfin pour les chasser plus précisément. Car j'ai trois bouches à nourrir et ils m'ont demandés des volatiles, alors bon ... Et en chemin je t'ai vu avec ta patte qui traîne et ça m'a rendu curieux. Alors je t'ai suivi jusqu'ici » dis-je dans le calme.

Il pensait. J’avais l’impression qu’il pensait beaucoup. Il me ressemblait peut-être un peu. En tout cas, cette rencontre me semblait intéressante. Alors je l’écoutais.

_ « Beh. A la base, j'étais venu ici pour chercher des volatiles, enfin pour les chasser plus précisément. Car j'ai trois bouches à nourrir et ils m'ont demandés des volatiles, alors bon ... Et en chemin je t'ai vu avec ta patte qui traîne et ça m'a rendu curieux. Alors je t'ai suivi jusqu'ici »

Je lui ai souris. Un petit sourire en coin comme j’en avais le secret. J’aimais provoquer la curiosité, même si c’était juste parce que j’étais blessé. Enfin, de toute façon, blessé ou pas, j’intriguais. J’savais pas vraiment pourquoi, mais c’était comme si j’étais différent, assez différent pour être remarqué. Et haï, parfois. Parce qu’ils n’aimaient pas la différence. Il n’aimaient pas ce qu’ils ne connaissaient pas, ils en avaient même peur. Et ça me faisait bien rire, moi.

Je l’avais bien sentis, qu’il avait une famille. Je m’en doutais. J’savais pas vraiment ce que ça faisait d’être aimé... A part une mère qui m’a abandonné et un frère que j’ai côtoyé quelques temps, je n’ai jamais eu de véritable famille. Je ne suis jamais tombé amoureux non plus. J’étais pas vraiment sentimental, en fait. J’aurais bien aimé connaître les joies de l'amour juste une fois, pour voir... Par contre, j’me voyais vraiment pas entouré de louveteaux. J’avais du mal à supporter les petits. Ils m’irritent. Ils gueulent. Ils ont tout le temps faim, ils font des conneries. J’aimais le calme, moi.

- Des gosses... J’avais encore perdu mon regard dans le vide, penseur. Puis j’ai continué. J’m’imagine pas me retrouver avec des gosses. Ni même avec une compagne.

Je supposais qu’il me prenait pour un fou. J’étais lunatique. Je changeais tout le temps. J’passais du gros connard au jeune rêveur. Mais c’est dingue qu’est ce que je m’en foutais. J’étais curieux, j’voulais juste savoir c’que j’avais envie de savoir, voir c’que j’avais envie de voir et entendre c’que j’avais envie d’entendre. Je me foutais bien de ce que les autres pensaient de moi. En fait, j’crois que c’est parce que personne n’a jamais compté pour moi. J’vivais pour moi et pour moi seul. J’me fichais bien de savoir que d’autres crevaient. J’étais égoïste et je le vivais bien.

- Dis, ça fait quoi ? ’Fin j’veux dire, l’amour, tout ça, c’est comment ?

On aurait dit un apprenti avide de savoir. J’étais toujours allongé de tout mon long dans j’herbe fraîche du printemps, regardant tranquillement le solitaire. Je devais avoir l’air misérable. N’importe qui aurait pu m’attaquer et me tuer sans trop de difficultés. Je me serais battu, bien sûr. Si je dois mourir, ça serait en guerrier. Je mourrai couvert de blessure, saignant comme une proie déchiquetée, dans la douleur, la rage et la boue. Mais moi, je mourrai fièrement. J’étais lâche en général, mais je voulais une mort spectaculaire, qui resterait gravée dans les esprits.

Honnêtement, je ne savais pas ce qu'il pouvait répondre à ça. Quand je dis ça, je n'insinue pas que je lui pose une colle, bien au contraire. Je pense que sincèrement que notre discussion va s'arrêter là, et qu'on allait juste s'échanger de courts regards, sans grande importance, et avec un peu de chance, je serais encore là ce soir, sans avoir rien chasser pour mes gosses. Et j'allais me faire certainement gronder par ma compagne si c'était vraiment le cas. C'est pour ça que j'attendais de voir si l'individu boîteux réagissait à mes paroles, sinon je m'en irais, retournant à mes occupations, plus précisément, dans la chasse de volatiles pour nourrir ma progéniture. Et puis, j'ai vu son sourire. Pas un sourire comme on le voit et le perçoit d'habitude. Un petit sourire, qui commençait de gagner du terrain, s'étendant peu à peu dans le coin droit des babines du solitaire à la patte boîteuse. Une pensée arriva soudainement dans mon esprit, m'indiquant que ce dernier préparait quelque chose, que je ne pourrais détailler. Peut-être qu'il allait me montrer ses talents d'emmerdeur ? Je devais avouer que j'étais preneur, très preneur. Et peut-être que je pourrais lui donner quelques conseils, pour le rendre encore plus chiant. Et peut-être qu'un jour, l'élève surpassera le maître... Mais je n'en suis même pas encore là. Ce petit méritait d'être cuisiné avant que je prenne une réelle décision à son sujet. Mais nous pouvions devenir d'excellents amis, de très très bons amis, et peut-être lui présenterais-je mes trois fistons à l'avenir ? Peut-être, si l'individu boîteux ne représente aucun danger pour eux, je ne le laisserai jamais détruire ma famille, hors de question. Le loup boîteux restait toujours calme, comme si rien ne l'affolait, et comme si ça ne l'affolerait jamais. En même temps, avec les paroles que j'avais dites, il n'y avait pas de quoi s'affoler, excepté s'il possédait une légère défaillance au niveau du cerveau, déjà qu'il parlait étrangement ... Et puis il finit par réagir, reprenant la parole. Un sourire s'afficha sur ma face qui avait pour habitude de n'avoir aucune expression. Visiblement, il n'avait aucune expérience dans le domaine de l'amour et des enfants, ce que je pouvais tout à fait comprendre. En même temps, c'était un loup plutôt spécial, qui n'avait pas l'air de vouloir avoir de la compagnie. Comme moi avant en fait. Et depuis la rencontre avec Caleb, j'avais bien changé. La preuve, regardez moi aujourd'hui, j'ai même suivi un boîteux ! J'avais changé, aucun doute là-dessus. En l'espace de même pas un an, j'avais pu évoluer un peu, et peut-être que ce Solitaire devrait en faire autant, afin de trouver le bonheur et l'épanouissement, quelque chose de tellement exceptionnel dans le fond, dont on redemanderai chaque jour, sans s'en lasser pour autant. C'était un peu comme un rêve éveillé le bonheur, et il pouvait surgir dès que l'amour surgit à son tour. Magique n'est-ce pas ? Mais encore une fois, j'étais très pensif, ne semblant même pas remarquer que le Solitaire semblait reprendre la parole. Je redressai mes oreilles à la dernière seconde, l'écoutant. Ah beh voilà que c'était lui qui me questionnait maintenant. Remarquez, ça ne me dérangeait pas plus que ça, finalement. Lorsqu'il prononça sa question, une pensée perverse vint d'abord jusqu'à mon esprit, mais je la chassai très rapidement, ne voulant pas paraître pour un obsédé devant ce type en manque d'expérience. Mise à part mes étranges pensées, je ne savais pas vraiment quoi lui répondre, mais je tentai tout de même le coup.

_ « Beh t'sais, chaque personne voit différemment l'amour. Moi je le vois d'une certaine façon, et lorsque ton moment sera venu, tu le verras d'une autre manière. C'est ça la vie, mec. » dis-je, philosophiquement.

Spoiler:

_ « Beh t'sais, chaque personne voit différemment l'amour. Moi je le vois d'une certaine façon, et lorsque ton moment sera venu, tu le verras d'une autre manière. C'est ça la vie, mec.

Ça me paraissait compliqué. Et si on suit ma logique, les choses compliquées sont chiantes. J’étais compliqué et c’est pour ça que j’étais chiant. Mais ça, ça avait l’air différent. Ça avait l’air compliqué dans le bon sens. Difficile à imaginer pour moi, puisque dans ma tête, compliqué voulait forcément dire chiant. Mais bon, je n’étais pas étroit d’esprit. Alors j’ai gardé cette idée dans un coin de ma tête, puis je suis passé à autre chose, vu que j’avais ma réponse.

Je me suis étiré, baillant longuement – oui, encore une fois - . Puis je me suis levé avant de m’asseoir. J’avais des fourmis dans les pattes. J’avais mal, aussi. Mais bon, j’avais pris l’habitude. Vivre dans le douleur ne me gênait plus. J’étais le misérable boiteux, le jeune loup à moitié foutu, le chieur qui risque sa vie rien qu’en riant au nez des autres. Mais bon, je m’en foutais, j’étais heureux.

- Gars, ça t’dis une petite chasse ? J’ai la dalle et t’as trois gamins, tout le monde est gagnant.

Avec ma patte folle, j’pourrais au moins servir de rabatteur.

« C'EST FRAGILE, UNE FLEUR, TELLEMENT FRAGILE ... ♣ »

JE ME RENDAIS COMPTE PEU A PEU, à quel point je changeais. J'en étais à parler à un inconnu à la patte qui traîne. Avant la naissance des jumeaux et du chat-loup, je n'aurais jamais imaginé que je puisse faire ça un jour. Enfin, plutôt, avant ma rencontre avec Caleb, c'est plus exacte comme réponse. On dit qu'une femelle change votre vie, mais je n'aurais jamais pris cette phrase au sens propre du terme, auparavant. Mais ça, c'était avant. Maintenant, la louve de ma vie m'avait permis d'évoluer, de gagner en mâturité, très certainement. Peut-être que d'être un chieur est un gamin maintenant, non ? Pour un loup de mon âge en plus... Non, je ne vais pas me dévaloriser quand même, je suis Cameron, le grand Solitaire qui va exterminer tous les autres vagabonds des terres de Wolf Temporal, afin d'exécuter la vengeance de ma belle. Je hume l'air, respire l'air frais qui s'offre à mes narines. Seule l'odeur de Solitaire reste dans mes voies respiratoires. Ce qui signifie ... que j'ai affaire à un solitaire ? Franchement, ça se voit que c'est la première fois que je suis quelqu'un, il est vrai que c'est loin d'être dans mes habitudes. Mais bon, considérons-ça comme un passe-temps. Sa patte qui traîne m'avait fortement intriguée, ma petite voix intérieure m'avait dite de suivre ce bonhomme. Mais il se trouve que je maintenant confronté à un dilemme. Un véritable dilemme. En effet, pour exécuter la vengeance de ma bien-aimée, je dois tuer tous les solitaires que je rencontre, et que j'irai chercher moi-même. Personnellement, ça ne me pose aucun problème, sauf aujourd'hui. Un loup bien sympathique, qui semble avoir de l'humour, est devant moi. Un ami, enfin peut-être. Seulement, c'est un solitaire. J'espère que je n'aurais pas une « TEMPÊTE » au crâne. Deux solutions s'offrent à moi : Soit, je ne me laisse pas bercer par des sentiments amicaux envers ce boîteux, et je lui tranche la jugulaire sans aucune pitié, en ôtant la vie à quelqu'un qui n'a rien demandé, soit, je mens à ma belle lorsqu'elle me demandera où est-ce que j'étais passée durant toute cette longue journée, et Dieu sait que je ne sais pas mentir, malheureusement.

~

DEGLUTIR M'EST A PRESENT DIFFICILE, très difficile. Mes yeux cherchent un endroit où se poser, en vain. Embarqué avec mon dilemme, j'en oublie presque la présence de l'individu boîteux. Je n'ai pas le droit de mentir à celle que j'aime, celle à qui j'ai donné ma fidélité, mais je n'ai pas non plus le droit d'ôter la vie à cet individu, en brisant ce début d'amitié, une amitié qui avait l'air si unique, exceptionnelle, celle qui met mon cerveau en ébullition. Prendre une décision. C'est ça que je dois faire. Cela paraît si facile en temps réel, mais c'est très complexe. Mon regard se pose dans le ciel. Je réalise qu'éventuellement, cet individu me mène en bateau, en me faisant croire qu'il y aurait peut-être une relation amicale entre nous. Le doute. Quelque chose d'atroce qui finit par nous achever, en faisant des coups par derrière. Je n'ai pas le droit de trahir ma dulcinée, ce serait contre mes principes. Toujours emporté dans mes pensées, mon côté tueur, assassin, refait surface, au fil que les minutes passent, même si mon visage ne laisse transparaître aucune émotion. J'ai toutes les cartes en main. Mon regard devient plus dur, plus froid, et une voit vient peu à peu me sortir de mes pensées.

« Gars, ça t’dis une petite chasse ? J’ai la dalle et t’as trois gamins, tout le monde est gagnant ».

PARFAIT. Avec ces paroles, je sais quoi faire, comment faire. Une chasse est la parfaite solution pour l'éliminer, et si l'individu a le même but, la partie sera plus pimentée. Des pensées odieuses viennent jusqu'à mon esprit, et je me lèche les babines d'avance. Lorsque nous chasserons, chacun de notre côté, je prendrai malencontreusement le solitaire pour cible, et n'enf erai qu'une bouchée. Je saisirai le cadavre par la peau du cou, et le ramènerai discrètement à la tanière, le cachant pour ne pas que mes trois fils le voient, ce n'est pas encore le moment pour eux d'apprendre à tuer, mais bientôt, ça le sera. Et je montrerai mon trophée à ma femme, qui sera fière de moi. D'un air triomphale, un sourire inexplicable sur les babines, je réponds doucement à mon interlocuteur.

« Avec joie ! ».

Il s’était encore perdu dans ses pensées, et son expression devenait de plus en plus dur. Je me demande bien à quoi il pensait à ce moment là. Il était étrange, tout de même. Peut-être avait-il une idée ? Ma saleté de curiosité me picotait la fourrure. J’avais absolument envie de savoir.

« Avec joie ! »

Je lui ai souris. J’ai posé ma patte sur le sol pour voir si je pouvais marcher à peu près normalement. Bon, c’était pas gagné, mais je devrais quand même réussir à chasser un peu. Peut-être qu’un vieux piaf blessé me tombera sous le museau, on sait jamais. J’ai pointé un coté de la forêt du museau, puis j’ai lancé :

- Bon, je vais par là.

Clopin-clopant, je me suis dirigé vers l’endroit que j’avais montré et me suis enfoncé dans la jungle. De doux fumets me venaient aux narines, mais aucun ne m’intéressait vraiment. Je n’avais qu’une idée en tête, c’était d’attendre un peu que l’autre loup parte chasser pour le suivre et voir ce qu’il mijotait.

« C'EST FRAGILE, UNE FLEUR, TELLEMENT FRAGILE ... ♣ »

LA COLERE ET LA DEPRESSION, deux sentiments qui n'étaient pas si éloignés l'un de l'autre tout compte fait. Je ressentais de la haine envers le Solitaire posté devant moi, car sa famille avait certainement contribué à l'assassinat de la famille de Caleb, et d'un autre côté, je n'étais plus moi même, j'avais perdu tout mon état d'esprit. Mon côté emmerdeur et salop avait disparu instantanément. Et ça à cause de qui ? A cause de Caleb. Un emmerdeur digne de ce nom n'aurait pas eu d'enfants. Il n'aurait d'ailleurs pas eu de compagne, juste des conquêtes, par-ci, par-là. C'était décidé, je n'allai pas mettre à exécution mes plans en tuant ce Solitaire, pour les beaux yeux de Caleb. J'allai faire cette chasse, rapporter du gibier là où j'habitais avec ma compagne et mes trois gosses, et j'allai dire à Caleb et j'allai partir quelques jours en chasse.. Je ne partirai pas en chasse, vous l'aurez compris. J'avais besoin de faire un break, de me laisser aller rien qu'un peu, de me lâcher. Sinon l'environnement dans lequel je vis va finir par me rendre fou. Alors que c'est moi qui doit normalement rendre fou les autres avec mes talents d'emmerdeur. Tout ça, cette vie, ça me dépasse.. Je devrai peut-être abandonner les miens pour me consacrer à une véritable vie d'emmerdeur, enchaînant les louves, faisant ce que je veux réellement... Car en ayant une compagne et des enfants, je ne peux pas faire tout ce que je veux. Je dois montrer l'exemple à mes fils par exemple. Mon dieu... Qu'est-ce que j'ai fais... Qu'est-ce que j'ai fais ? Ai-je anéanti ma vie pour toujours ? Montrez moi le chemin, je vous en supplie... Dois-je partir de ma famille, dois-je rester ? Que dois-je faire ?!

« Bon, je vais par là. »

OH C'EST VRAI. J'avais proposé au Solitaire de partir faire une chasse, j'avais dans le but de l'éliminer... Plus maintenant. Le loup m'emboîte de pas dans la direction qu'il a montré du bout de sa patte. Il commence de s'éloigner, et sa silhouette s'efface peu à peu. Je pars dans la même direction que lui, mais en empruntant un autre chemin, une autre route. Je commence peu à peu à m'enfoncer dans les profondeurs de la jungle tropicale, quand soudain j'aperçois une silhouette qui se dessine au loin. Un gibier. Je me lèche les babines et sourit bien que je n'ai pas le moral. J'accélère ma cadence, m'approchant de plus en plus de ma proie. Une fois que je suis assez proche d'elle, je lui bondis dessus et plaque l'individu au sol. Je garde le sourire jusqu'à ce que je constate que le gibier n'est autre que le Solitaire à qui j'ai proposé de chasser. J'écarquille les yeux et je mets nerveusement à rire. Je me dégage de lui et me redresse, prenant la position assise. Je lui souris, et tente néanmoins de m'expliquer.

« Je suis désolé, de loin je t'ai pris pour une proie. »

HRP:

Je fixais le sol, penseur. D’un coup, la fatigue s’était emparée de moi et je n’avais plus envie de chasser, ni même de bouger. J’ai pensé à laisser le loup en plan, il se serait démerdé avec ses gosses et moi, j’aurais été volé la nourriture d’un faiblard. Et chacun aurait continué sa vie. Si on se serai recroisés, on se serai craché dessus et je n’aurais été qu’un déserteur pour lui, qu’un sale con. En plus d’un chieur. Je n’avais plus envie de faire ami-ami. J’avais même une putain d’envie de sauter d’une falaise pour m’écraser contre les rochers, puis finalement me faire emporter par les vagues brutales, les bras de la mer qui vous accueille quand vous ne souhaitez plus vivre. Pourquoi cette déprime d’un coup ? Je crois que j’étais malade, complètement bipolaire, tantôt jeune fou, tantôt vieille carcasse.

Mais je ne devais pas me laisser abattre par la tristesse. J’allais retourner sur mes pas pour rattraper le vieux loup, mais avant d’avoir bougé, j’ai entendu des pas qui se rapprochaient. On aurait dit un loup en chasse. Un loup en chasse juste derrière moi. Et une odeur que je connaissait. C’était le grand loup de tout à l’heure. Je n’ai pas eu le temps de réagir quand il m’a bondit dessus et je suis tombé au sol dans un grand fracas. Je croyait qu’il voulait me tuer. J’étais prêt à le mordre quand j’ai vu son expression du visage. En fait, il semblait plutôt surprit. Il est resté au dessus de moi un petit moment, et j’ai souris en me disant que ça faisait so gay. Je précise tout de même que je n’avais absolument rien contre les gays, j’ai juste trouvé ça drôle. Il s’est relevé et a lâché un rire nerveux avant de s’excuser :

« Je suis désolé, de loin je t'ai pris pour une proie. »

Je me suis relevé et me suis secoué pour débarrassé mon pelage de la poussière, même si ça ne servait à rien. j’étais déjà sale avant de tomber. Je me suis assis en face de lui et ai plongé mon regard dans le sien. C’était une habitude chez moi. Je regardais toujours les gens dans les yeux. Certains voyaient ça comme un manque de respect. C’était faux. Enfin à moitié. Je ne respectais personne, mais mon regard n’avait rien à voir avec ça. C’était une manie. Bon. J’ai répondu au grand loup :

- Hum, pas grave.

Je l’aimais bien, lui. Un autre en aurait payé le prix. S’il aurait été un de ses faiblards de loups de meute, je l’aurais torturé. Oh non, je ne suis pas un fou furieux sadique qui démembre ses victimes. Avec moi, la plupart du temps, tout ce passe dans le mental. Ce n’est pas que je n’aimais pas me battre, mais j’avais compris l’immense pouvoir de l’esprit, et je m’en servais... En mal. J’eus envie de lâcher un rire diabolique, mais ça n’aurait eut aucun sens. Enfin... La plupart des choses que je faisais n’avaient aucun sens. Comme mes pensées. C’était un beau bordel dans ma tête.