Faustin avait du temps à perdre, et c'est exactement pourquoi il s'était rendu tôt ce matin-là en Territoires Libres. Sa Meute stagnait affreusement, et comme il n'avait personne a éduquer, et encore moins personne a assassiner, l'Opale avait donc décidé d'aller faire un petit bout de trotte, ce qui n'est clairement pas dans son habitude. Seulement, ce matin-là, il se sentait bizarre. Il avait la truffe froide à l’extrême, tremblait régulièrement, et éternuait sans cesse. Sans doute avait-il attrapé un rhume. Il devrait d'ailleurs penser a aller voir les Druides de sa Meute, histoire d'être en forme pour son prochain travail. Si bien sûr, Kant se décidait un jour a lui en donner un. Bref, c'était donc d'un pas lent et hasardeux qu'il se promenait, passant sous les arbres enneigés, laissant des traces fines dans la neige profonde. La Neige ne l'avait pas épaté, même lorsque les premiers flocons du mois étaient tombés. Il en avait déjà vu, de la Neige, et ce n'est pas celle de WT qui allait l'enchanter. Au contraire, sa maladie lui donnait encore plus le cafard. Sympa de partager ta crève, cousin, mais la prochaine fois, tu te la garderas pour toi, hein. Oui, Kant n'avait effectivement pas de rhume. Mais bon, il fallait bien trouver quelqu'un à maudire.

Il s'arrêta près de l'Arbre Immortel, et seulement là, se permit de contempler la haute cime de l'arbre. Depuis combien de temps était-il dressé là, celui-là? Plus longtemps qu'il n'était sur ces Terres, c’est sûr ; il était planté bien avant la Création des Clans, a ce que racontait les Anciens. Les légendes en tout genres ne l'avaient jamais attirés, mais cet arbre était bien trop impressionnant pour être ignoré. Après sa petite inspection rapide des lieux, histoire de vérifier que personne n'était là, il repéra une petite boule de poils au loin, qui bougeait faiblement. Il songea a un loir, ou a une quelconque bestiole qui cherchait a manger, et désintéressé, s'allongea en boule contre l'écorce rugueuse, avec un soupir d'aise. Ses paupières se fermèrent sur l'immaculée Neige, et le sommeil l'emporta rapidement loin de l'Hiver.

Bien sûr, Faustin aurait pu dormir facilement, tellement la Neige collée a son pelage lui faisait un agréable oreiller. Seulement, ce fut une odeur absolument répugnante qui le força a rouvrir les yeux, et dégoûtée, il se releva. Le corbeau qu'est venu crever dans le coin, merci de revenir a la vie pour te casser d'ici, merci. Il chercha du regard d’où pouvait bien provenir l'infecte fumet, et finit par en trouver la provenance, en tournant autour d'un tronc d'arbre non-éloigné. Le cadavre d'un lièvre. Il fronça le nez, ses fines narines agressées par la puanteur qui se dégageait du corps, et fronça les sourcils en apercevant une petite boule de poils brune. Étonné, il jeta des coups d’œils curieux autour de lui, comme dans l'espoir de voir les parents du bébé arriver en courant, en criant que leur enfant s'était perdu. Malheureusement, il eut beau attendre cinq bonnes minutes, personne ne vint. Indifférent, il tourna le dos au loupiot, pour commencer a s'éloigner. démerdes-toi mon petit gars, moi chuis pressé. Mais, pris d'une once fine de culpabilité, il finit par revenir près du loupiot, qui semblait être finalement éveillé.

Conscient que le froid devait attaquer l'épiderme a peine couvert de poils du louveteau, il dévoila ses canines acérées, et attrapa le petit par la peau du cou, en veillant a ne pas le blesser durant le processus, et le tira vers lui. Une fois ceci fait, il le garda dans sa bouche, pour commencer a trotter en direction du territoire Opale. Il devait au moins s'assurer d'être chez lui, avant de pouvoir poser la patte sur cet enfant. Quelques minutes plus tard, il s'arrêta tout pile a la frontière de son territoire, et pour éviter que l'odeur des Opales ne s'imprègne sur le petit, le déposa du coté des territoires Libres, lui se plaçant du coté de son Territoire. Deux mondes opposés, deux caractères inversés. Son regard rouge sombre se riva sur l'enfant qui grelottait au sol, et hésitant quand a la marche a suivre pour la suite, il se contenta de s'asseoir, et de prendre la parole, en sermonnant le petit.

« J’espère que tu est conscient des risques que tu as pris en t'aventurant ici. Je ne sais pas si tu l'as fait par pure imprudence, ou juste par insouciance, mais en tout cas, on peut dire que tu as eu de la chance de tomber sur moi. Je ne suis ni méchant, ni gentil, mais disons que je fais une exception pour les enfants en bas-âge. Alors, dis-moi voir : qu'est-ce que tu fais là? »

Le petit finit par oser ouvrir un yeux, et parut effrayé de le voir. En même temps, il y avait de quoi. Faustin savait qu'il était plutôt impressionnant, pour un gamin de son âge, surtout a cause de son regard. Malheureusement, il ne pouvait rien faire contre cette couleur sanglante vive, elle se ne s'éclaircissait jamais, elle ne se troublait jamais. Au grand contraire, elle scintillait continuellement, comme une étincelle qu'il suffisait d'attiser pour allumer. Calme, il écouta les balbutiements du petit, et fronça les sourcils. Comment ça, il cherchait une Mère? N'en avait-il donc pas déjà une? Perplexe, il regarda a nouveau autour d e lui, mais toujours personne. Il commençait a comprendre petit a petit la situation délicate du loupiot, mais il craignait que ses soupçons ne se réalisent.

« Comment ça, tu cherche une Mère? Ou est la tienne, hein? Et ne te cache pas ainsi de moi, je déteste ça. »

D'un geste plutôt autoritaire, digne d'un Guerrier, il bouscula l'enfant de sa lourde tête, pour le forcer a le relever, et le fixa intensément, le regardant rapidement de haut en bas. Une petite boule de poils brune, qui tremblait sous le souffle du froid. Il ne possédait aucun muscle, et encore moins un signe particulier qui aurait permis a l'Opale de l'identifier. Il huma son odeur, qui le laissa sceptique : il n'en avait aucune. Enfin, il sentait bien une légère trace d'humus et d'écorce sèche, mais absolument rien d'autre qui concerne les loups. C'était donc bien ce qu'il pensait.

Silencieux, il regarda le petit se lever courageusement malgré le froid, et presque inconsciemment, laissa un sourire éclairer son visage. Ce loupiot lui plaisait déjà, a vrai dire, il n'était pas aussi faiblard qu'il ne le laissait paraître. Nul doute qu'il deviendrait un bien beau loup, plus tard. Revenant au présent, il le vit s’avancer dans sa direction, et se coller soudainement a son poitrail. Surpris, le grand Mâle songea a reculer, et a le gronder, lorsque ses mots l'arrêtèrent. Je n'ai pas encore de Maman. Voilà ce qu'il venait de dire, et voilà ce qui tournait sans cesse dans l'esprit de Faustin. Le louveteau avait donc bel et bien été abandonné. Le visage impassible, mais un peu ému par la situation de cette petite boule de poils frémissante, collée a son poitrail, il resserra un peu ses pattes autour de son frêle corps, comme pour lui offrir un peu plus de chaleur.

« Je vois. Ne t'en fais, petiot, je suis là, ça va aller. Tout va bien se passer. »

Sa voix rauque s’éteignit lentement, et les yeux rivés sur l'horizon blanc face a lui, il sentit une tristesse incomparable monter progressivement en lui. Il avait déjà ressenti ça autrefois, et c'était lorsque son Grand-Père, Méphistophélès, était mort. Il avait appris la nouvelle alors qu'il n'était encore qu'un enfant, et avait été réellement déçu. déçu de ne pas l'avoir mieux connu, déçu surement de ne pas avoir pu constater de lui-même le Démon qui faisait trembler autrefois toutes les Meutes, rien qu'en prononçant son prénom. Il avait toujours été en admiration envers ce grand-père qu'il ne croisait que rarement, et à qui il avait peur d'adresser la parole ; néanmoins, il le portait toujours comme un héros, dans son esprit. Et voir que Kant ruinait cette réputation le dégoûtait profondément. Malheureusement, il n'était pas celui désigné par Méphistophélès, tout comme Paradox, donc il se contentait de suivre son cousin, en tâchant de récupérer ses quelques erreurs. Revenant au présent, il baissa les yeux sur le petit entre ses pattes, qui semblait déjà plus au chaud.

« Est-ce que tu avais l’intention de te rendre quelque part, ou bien t'a t'on juste laissé ici ? »

Encore dans les brumes de son esprit tourmenté par la découverte de ce petit, son regard plongea dans celui, très pâle, du louveteau. Calme, ils se regardaient simplement, sans parler, sans bouger. Faustin devait se l'avouer, mais la présence de l'enfant contre lui lui procurait une sensation de bien-être comme il en ressentait souvent avec ses élèves, lorsqu'il les regardait grandir, le dépasser, et finalement se faire tuer. L'impression d'avoir été Père plus d'une centaine de fois, d'avoir été grand-père au moins une trentaine de fois, et d'avoir été en deuil au moins une millième de fois. Comme quoi, une seule vie ne suffisait pas encore pour accomplir tous ces rôles a la fois. A chaque fois, il avait du garder la tête froide, alors qu'en lui, c'était la débandade, un véritable capharnaüm. Il se reprochait de ne pas avoir été un meilleur Maître, de ne pas être arrivé a temps pour le sauver, de ne pas leur avoir inculqué les bonnes valeurs. Pourtant, chez les Opale,s on lui faisait régulièrement remarquer que son travail était excellent, malgré son humeur de grognon. Il n'en avait jamais été convaincu. Attentif, il écouta le petit parler, d'une voix plus ferme a présent, et acquiesça lentement de la tête pour lui montrer qu'il comprenait. Oui, il comprenait cette pauvre boule de poils, et son désespoir de se retrouver ici, sur une terre inconnue, avec un inconnu, d'ailleurs.

« Je vois. Si elle t'a dit ça, c'est surement pour une bonne raison. Je suppose que tu ne sais pas ou se trouve le Territoire des Diamants, hein? Allez, viens. Je vais t'y conduire. »

Avec un sourire a peu près aimable, il se redressa, et commença a s'éloigner du petit. S'il arrivait a l'improviste chez les Diamants, il allait surement être mal-accueilli, voir battu. Seulement, il ne pouvait certainement pas laisser ce pauvre loupiot essayer de trouver seul le Territoire Diamant, et ainsi faire face aux charognards, aux Solitaires menaçants, et toutes les autres menaces auxquels ils avaient tous été confrontés rien qu'une fois dans leur vie. Si jamais Kant, ou encore Paradox apprenait ça, ils allaient bien se moquer de lui. Il allait devoir trouver une bonne excuse pour faire passer ça pour une quelconque mission héroïque pour le bien de la Meute. La blague. Conscient d'aller plus vite que le loupiot, il s'arrêta, et jeta un coup d'oeil derrière lui. Mais bon, il se sentait presque comme un Mentor, a border les petits tout en leur apprenant a être courageux et un brin suicidaires. Après tout, c’est bien lui qui poussait ses futurs Assassins a la mort.

« Allez, petiot. La route est longue, et la Neige ainsi que le Vent vont nous ralentir dans notre traversée. Il vaut mieux se dépêcher. »

Sérieux et confiant, Faustin marchait désormais plus lentement qu'au départ, ses pattes s'enfonçant lourdement dans la Poudreuse qui ne cessait de grimper de niveau. Les sourcils froncés, il ne se préoccupait même plus du petit a ses cotés, concentré sur le chemin qui se traçait devant lui. Bien sûr, ce n'était pas une Tempête, mais les flocons de neige s'accrochaient au sol, et nul doute que bientôt, ils ne pourraient plus avancer. Cette perspective le rendait un peu contrarié. Après tout, il avait promis au petit de le conduire sur le Territoire des Diamants, et c'est ce qu'il ferait. Un Assassin savait toujours se créer des chemins là ou il n'y en avait pas. Au pire des cas, si jamais ils ne parvenaient plus a aller de l'avant, il trouverait bien un chemin entre les broussailles ou passer. Curieux de voir ce que faisait le louveteau, il voulut l'espionner du coin de l'oeil, mais s'arrêta net lorsqu'il s'aperçut qu'il n'était plus près de ses pattes. Inquiet, il tourna sur lui-même pour le retrouver par la vue, et poussa un discret soupir de soulagement en le voyant près d'un trou, occupé a creuser dedans.

Il le laissa faire en silence, et sourit largement lorsqu'un lapin sortit soudainement du creux, et prit la fuite du mieux que ses petites pattes le lui pouvait. Le loupiot, étonné, avait atterri sur ses fesses, et le regardait avec une expression presque semblable a celle du désarroi, une oreille penchée en avant, et sa petite tête se balançant vers la gauche. Amusé, le grand loup étouffa un rire, et attendit qu'il le rejoigne pour reprendre sa route.

« Eh bien alors ! Tu me semble bien surpris. Je suppose que tu sais tout de même ce qu'est un lapin, non? Qu'est-ce que ça va être quand tu vas rencontrer ton premier daim, a l'été ! »

Il narguait le louveteau amicalement, et faisait franchement de son mieux pour ne pas lâcher quelque chose de méchant, ou de vexant. Ce petit l'intéressait énormément, et il se sentait bien plus proche de ce gamin qu'avec n'importe qui d'autre. Ah, l’innocence perdue de la Jeunesse. Voir les réactions du loupiot ne faisaient qu'accentuer son déjà grand âge, et lui rappelait sans cesse que la Fin était peut-être proche. Qui sait, peut-être demain matin, en faisant une ronde matinale, il tombera dans un trou, et se laissera ensevelir par la Neige. Ou alors, lors d'un entrainement, l'un de ses élèves mettra fin, par inconscience, a ses jours. Ou alors, il s'éteindrait tout simplement dans son sommeil. La dernière option lui semblait encore la meilleure. Rapidement, l'odeur musquée et sauvage des Diamants le força a ralentir l'allure, jusqu’à s'arrêter entièrement. Les yeux rivés sur l'horizon, ou des bouts d'arbres enneigés montraient déjà leurs branches nues, l'Opale n'osa pas baisser le regard sur le petit a ses cotés. Peut-être le trouvait-il bizarre, flemmard, antipathique.

« Voilà, nous sommes a la limite du territoire Diamant. Il est droit devant, et si tu continue ton chemin, tu tomberas sans doute sur certains de leurs Gardes. N'oublies pas de leur préciser que tu est venu seul, et que souhaites intégrer la Meute Diamant. Ne leur dis pas que tu est venu accompagné, surtout pas. Maintenant...file, gamin. T'as toute ta vie devant toi, fais-la heureuse chez les Diamants. »

Bien sûr, sa voix bizarrement rauque et ses dernières paroles paraissaient étrangement philosophiques pour un loup de son gabarit, mais il se sentait plutôt mélancolique, a l'idée de devoir déjà abandonner ce petit parmi les Diamants.

Un peu mélancolique, le grand mâle regarda le fragile petit loupiot s'éloigner timidement, faisant ses premiers pas sur le territoire Diamant. Il le regarda avancer, puis se retourner vers lui, hésitant. Il se contenta de hocher de la tête pour le pousser a continuer, ce qui eut l'effet inverse ; le petit revint se coller a son poitrail en un ultime au revoir, ou adieu, qui sait. L'Opale lécha doucement le haut de son crâne, dans un geste purement affectif et presque paternel, puis le laissa repartir, courant déjà vers sa nouvelle vie et destinée. L'Assassin, quand à lui, lui souhaita intérieurement bonne chance, avant de faire demi-tour, et de s'éloigner au trot, fatigué. Cette journée n'avait pas été de tout repos, et autant dire que la rencontre avec ce loupiot l'avait secoué, bien plus qu'il ne le pensait. Bon, il allait donc se prendre toute une journée de sommeil, et merde a Kant si il avait besoin de lui. Il disparut rapidement de la vue, sans tourner la tête en arrière une seule fois. Ne jamais regarder en arrière pour contempler ses erreurs regrettées. 1ère règle selon lui pour être un bon loup.

H.S: